Commentaire de texte
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Centres étrangers, juin 2024
Commentaire
Victor Hugo, Les Feuilles d’automne, « Vois, cette branche est rude… »
Intérêt du sujet • Initiation à l’observation et invitation à l’amour, ce poème prend une dimension didactique et relève d’une stratégie de séduction.
Vous ferez le commentaire du texte de Victor Hugo extrait des Feuilles d’automne en vous aidant des pistes de lecture suivantes.
1. L’énergie vitale de la nature
2. La leçon sur la nature qui invite à l’amour
document
Vois, cette branche est rude, elle est noire, et la nue1
Verse la pluie à flots sur son écorce nue ;
Mais attends que l’hiver s’en aille, et tu vas voir
Une feuille percer ces nœuds si durs pour elle,
Et tu demanderas comment un bourgeon frêle
Peut, si tendre et si vert, jaillir de ce bois noir.
Demande alors pourquoi, ma jeune bien-aimée,
Quand sur mon âme, hélas ! endurcie et fermée,
Ton souffle passe, après tant de maux expiés2,
Pourquoi remonte et court ma sève évanouie,
Pourquoi mon âme en fleur et tout épanouie
Jette soudain des vers que j’effeuille à tes pieds !
C’est que tout a sa loi, le monde et la fortune3 ;
C’est qu’une claire nuit succède aux nuits sans lune ;
C’est que tout ici-bas a ses reflux4 constants ;
C’est qu’il faut l’arbre au vent et la feuille au zéphire5 ;
C’est qu’après le malheur m’est venu ton sourire ;
C’est que c’était l’hiver et que c’est le printemps !
7 mai 1829.
Victor Hugo, « Vois, cette branche est rude… », Les Feuilles d’automne, xxvi, 1831.
1. Nue : terme poétique désignant un nuage épais.
2. Expiés : endurés, subis. Expier s’emploie ordinairement pour exprimer la réparation d’une faute.
3. Fortune : puissance mystérieuse qui semble distribuer sans règle le bonheur ou le malheur aux humains.
4. Reflux : mouvements de retour dans un cycle ; ce terme désigne en particulier le mouvement de la mer.
5. Zéphire : vent doux et agréable
.
Les clés du sujet
Définir le texte
Formuler la problématique
Le poème apparaît à première lecture comme une leçon de choses donnée par le poète à sa destinataire. Pourtant, les images empruntées à la nature, le dialogue institué par le sujet lyrique avec le « tu » et les procédés poétiques font simultanément du texte une incitation à aimer. Comment de didactique le poème devient-il lyrique ?
Construire le plan
1. L’énergie vitale de la nature | Comment le poème invite-t-il la bien-aimée et le lecteur à porter un regard attentif et émerveillé sur la nature ? Montrez qu’en mimant le cycle des saisons, le poème s’inscrit contre la mort. |
2. La leçon sur la nature qui invite à l’amour | Analysez la stratégie de séduction du poète. Intéressez-vous à l’ambivalence du texte, à la fois discours sur la nature et déclaration d’amour. |
Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Présentation du contexte] La poésie lyrique se fonde sur des motifs traditionnels apparus dès l’Antiquité, qu’elle réinvestit tout au long de son histoire. Après Ronsard, poète de la Pléiade qui invitait sa destinataire à « cueillir les roses de la vie », Hugo, trois siècles plus tard, se réapproprie la métaphore naturelle dans une stratégie de séduction. [Présentation de l’œuvre et de l’extrait] Dans le poème de trois sizains d’alexandrins intitulé « Vois, cette branche est rude… » extrait du recueil Les Feuilles d’automne, publié en 1831, l’auteur romantique puise dans le spectacle de la nature la matière d’une déclaration amoureuse. [Problématique] Comment de didactique le poème devient-il lyrique ? [Annonce du plan] Pour le déterminer, il s’agira d’abord d’analyser l’énergie vitale célébrée par le poète puis de montrer que la leçon sur la nature se meut en une invitation à l’amour.
I. L’énergie vitale de la nature
Le secret de fabrication
Il s’agit ici de s’intéresser aux éléments naturels qui supportent cet élan vital et à la manière dont le poème rend hommage à leur puissance, jusqu’à prendre lui-même une dimension cosmique.
1. Une description dynamique
Le poète donne à observer à sa bien-aimée comme à son lecteur le mouvement de la nature. Le recours au mode impératif dans l’incipit et l’emploi de la deuxième personne du singulier enjoignent, selon un principe de double énonciation, à être attentif à l’essor naturel. C’est au cycle des saisons, résumé synthétiquement dans le vers de chute par une antithèse, que le poème s’intéresse.
L’hiver et le printemps sont décrits l’un par rapport à l’autre, grâce à un jeu d’opposition : « si durs » (v. 4) / « si tendre » (v. 6) ; « noire » (v. 1) / « vert » (v. 6) ; « claire nuit » / « nuits sans lune » (v. 14). S’y trouve attaché un lexique nettement dépréciatif avec les termes « rude », « noire » (v. 1) ou encore « nœuds si durs » (v. 4).
À l’inverse, la vivacité du printemps est assurée par l’idée d’éclosion, connotée par les mots « percer » (v. 4), « jaillir » (v. 6), « soudain » (v. 12). C’est, plus largement, toute la nature qui se voit animée d’un élan vital par le biais de la personnification filée dans la première strophe : « la nue/Verse » (v. 1-2), où le contre-rejet mime l’action de l’eau s’épanchant du nuage ; « que l’hiver s’en aille » (v. 3) où le découpage de l’alexandrin en trimètre (4/4/4) met en valeur le cycle des saisons.
2. Un lyrisme vivant
La vitalité de la nature contamine la parole du sujet lyrique qui se pare d’accents exaltés : la ponctuation délimite des segments plutôt courts qui confortent le dynamisme du texte, notamment dans les vers 6 et 8 où les marques typographiques abondent. La modalité exclamative souligne les élans de l’âme, tantôt abattue avec l’interjection modalisatrice « hélas ! » (v. 8), tantôt enthousiaste (v. 18) ; l’utilisation d’adverbes intensifs comme « si tendre et si vert » (v. 6), « tant de maux » (v. 9), traduit la renaissance du poète à l’amour.
Si les deux premières strophes soulignent l’opposition entre l’hiver et le printemps, entre la vieillesse et la jeunesse, le dernier sizain propose une synthèse des contraires aux accents baroques. À la faveur de l’anaphore du présentatif « C’est », les derniers vers relèvent de l’hymne à la nature à travers ses éléments, « lune » (v. 14), « reflux » (v. 15) c’est-à-dire mouvements de la mer, « zéphire » (v. 16) ou vent doux ; mais ils prennent aussi la forme d’une litanie incantatoire.
mots clés
Une « litanie » est une prière qui prend la forme d’une énumération ; l’adjectif « incantatoire » désigne ce qui agit comme par magie.
L’énergie vitale de la nature se communique ainsi au poème qui, en retour, prend une valeur performative : en associant sa personne à l’hiver et celle de sa bien-aimée au printemps, et en célébrant le cycle des saisons, le poète parvient finalement à conjurer la finitude de son être.
[Transition] Plein d’allant et de promesses, le spectacle de la nature invite simultanément à s’émerveiller et à aimer. Comment la leçon de choses devient-elle une invitation à l’amour ?
II. La leçon sur la nature qui invite à l’amour
Le secret de fabrication
La seconde partie s’attache à montrer que l’injonction à observer la nature vaut aussi pour incitation à aimer : il s’agira d’étudier la double dimension du texte, à la fois didactique et lyrique.
1. Une leçon de choses
Le poème vise d’abord à enseigner en se fondant sur l’observation concrète de la nature : c’est ce que révèlent le mode impératif dans « Vois » (v. 1) et « attends » (v. 3), le futur proche avec « tu vas voir » (v. 3) et les déictiques incarnés par les déterminants démonstratifs « cette branche » (v. 1), « ces nœuds » (v. 4). À l’exigence d’un regard attentif s’associe une injonction à se questionner, portée par les subordonnées interrogatives indirectes partielles introduites respectivement par les adverbes « comment » (v. 5) et « pourquoi » (v. 7).
En habile pédagogue, le poète apporte les réponses à ces questions dans la troisième strophe où il énonce, dans un mouvement déductif, les lois universelles de la nature. Les pronoms indéfinis à valeur totalisante – « tout a sa loi » (v. 13), « tout ici-bas » (v. 15) – et le présent de vérité générale – « tout a sa loi » (v. 13), « il faut l’arbre au vent » (v. 16) – soulignent la portée universelle du propos.
La situation d’énonciation de la leçon de choses ne se trouve explicitée qu’au vers 7, par l’apostrophe « ma jeune bien-aimée ». Le déterminant possessif suggère une intimité entre le locuteur et sa destinataire, et l’épithète (« jeune ») dénote l’ascendant qu’il a sur elle : le précepteur se double d’un amant.
2. Une invitation à l’amour
Le sujet lyrique associe les saisons à sa propre métamorphose par l’amour. La deuxième strophe se charge de filer cette analogie. Son « âme endurcie et fermée » (v. 8) correspond à la « branche […] rude » (v. 1) : comme l’arbre, il sent sa « sève évanouie » « remonte[r] et cour[ir] » (v. 10), « l’âme en fleur » (v. 11) fait écho au « bourgeon » (v. 5), la « bien-aimée » (v. 7) devient ce « souffle » (v. 9) vivifiant comparable au « zéphire » (v. 16).
Le poème entérine une rupture temporelle : le passé est marqué par la souffrance, portée par le champ lexical correspondant avec « hélas ! » (v. 8), « maux » (v. 9) et « malheur » (v. 17) ; mais celui-ci est chassé par l’adverbe « après » (v. 17) qui laisse place au « sourire » (v. 17) de l’aimée.
Le présent n’apparaît pas seulement comme le temps de l’amour heureux, il est aussi celui de la création littéraire : les « vers » (v. 12) du poème tissent une correspondance homophonique avec le « vert » (v. 6) de la nature, soulignée par la métaphore des feuilles contenue dans le verbe « effeuille » (v. 12). Ainsi, le texte décrit au présent d’actualité la naissance du poète, dont la destinataire s’apparente à une muse au « souffle » (v. 9) inspirant.
à noter
Dans la mythologie antique, les muses étaient neuf déesses qui présidaient aux arts. Le terme s’est répandu en poésie pour désigner une femme qui inspire le poète.
Conclusion
[Synthèse] La nature offre au poète la matière de son texte : elle est l’occasion d’une célébration de son énergie vitale ; elle donne une leçon de vie ; elle vaut pour déclaration d’amour. Tour à tour hymne au cycle des saisons, ode à la bien-aimée faite muse, le poème chante finalement l’énergie créatrice elle-même. Lyrique, il l’est par ses thèmes, ses procédés et sa dimension méta-poétique, c’est-à-dire réflexive sur la poésie. [Ouverture] Avec « Vois, cette branche est rude… », Hugo donne une illustration de la sensibilité romantique où le poète établit des correspondances des choses vues au cosmos tout entier, qui ont inspiré par la suite le symbolisme.