Oral
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Sujet d'oral no 4
La question de l'homme
> En quoi la stratégie argumentative de ce dialogue est-elle représentative du combat des Lumières dans le débat sur la question de l'homme ?
Dialogue du Chapon et de la Poularde
– Eh, mon Dieu ! Ma poule, te voilà bien triste, qu'as-tu ?
– Mon cher ami, demande-moi plutôt ce que je n'ai plus. Une maudite servante m'a prise sur ses genoux, m'a plongé une longue aiguille dans le cul, a saisi ma matrice, l'a roulée autour de l'aiguille, l'a arrachée et l'a donnée à manger à son chat. Me voilà incapable de recevoir les faveurs du chantre du jour, et de pondre.
– Hélas ! ma bonne, j'ai perdu plus que vous ; ils m'ont fait une opération doublement cruelle : ni vous ni moi n'aurons plus de consolation dans ce monde ; ils vous ont fait poularde, et moi chapon. La seule idée qui adoucit mon état déplorable, c'est que j'entendis ces jours passés, près de mon poulailler, raisonner deux abbés italiens à qui on avait fait le même outrage afin qu'ils pussent chanter devant le pape avec une voix plus claire. Ils disaient que les hommes avaient commencé par circoncire leurs semblables, et qu'ils finissaient par les châtrer : ils maudissaient la destinée et le genre humain.
– Quoi ! C'est donc pour que nous ayons une voix plus claire qu'on nous a privés de la plus belle partie de nous-mêmes ?
– Hélas ! Ma pauvre poularde, C'est pour nous engraisser, et pour nous rendre la chair plus délicate.
– Eh bien ! Quand nous serons plus gras, le seront-ils davantage ?
– Oui, car ils prétendent nous manger.
– Nous manger ! ah, les monstres !
– C'est leur coutume ; ils nous mettent en prison pendant quelques jours, nous font avaler une pâtée dont ils ont le secret, nous crèvent les yeux pour que nous n'ayons point de distraction ; enfin, le jour de la fête étant venu, ils nous arrachent les plumes, nous coupent la gorge, et nous font rôtir. On nous apporte devant eux dans une large pièce d'argent ; chacun dit de nous ce qu'il pense ; on fait notre oraison funèbre : l'un dit que nous sentons la noisette ; l'autre vante notre chair succulente ; on loue nos cuisses, nos bras, notre croupion ; et voilà notre histoire dans ce bas monde finie pour jamais.
– Quels abominables coquins ! Je suis prête à m'évanouir. Quoi ! on m'arrachera les yeux ! on me coupera le cou ! je serai rôtie et mangée ! Ces scélérats n'ont donc point de remords ?
– Non, m'amie ; les deux abbés dont je vous ai parlé disaient que les hommes n'ont jamais de remords des choses qu'ils sont dans l'usage de faire.
– La détestable engeance ! Je parie qu'en nous dévorant ils se mettent encore à rire et à faire des contes plaisants, comme si de rien n'était.
– Vous l'avez deviné ; mais sachez pour votre consolation (si c'en est une) que ces animaux, qui sont bipèdes comme nous, et qui sont fort au-dessous de nous, puisqu'ils n'ont point de plumes, en ont usé ainsi fort souvent avec leurs semblables. J'ai entendu dire à mes deux abbés que tous les empereurs chrétiens et grecs ne manquaient jamais de crever les deux yeux à leurs cousins et à leurs frères ; que même, dans le pays où nous sommes, il y avait eu un nommé Débonnaire1 qui fit arracher les yeux à son neveu Bernard. Mais pour ce qui est de rôtir des hommes, rien n'a été plus commun parmi cette espèce. Mes deux abbés disaient qu'on en avait rôti plus de vingt mille pour de certaines opinions qu'il serait difficile à un chapon d'expliquer, et qui ne m'importent guère.
Voltaire, « Dialogue du Chapon et de la Poularde », Mélanges, 1763.
1 Il s'agit de Louis Ier le Pieux ou le Débonnaire, fils de Charlemagne et empereur d'Occident de 814 à 840. Son neveu Bernard, roi d'Italie, s'étant révolté contre lui, il lui fit crever les yeux.
1 Il s'agit de Louis Ier le Pieux ou le Débonnaire, fils de Charlemagne et empereur d'Occident de 814 à 840. Son neveu Bernard, roi d'Italie, s'étant révolté contre lui, il lui fit crever les yeux.
préparation
Tenir compte de la question
- La question tourne autour de l'idée d'argumentation. Il faut donc connaître les différentes ressources de l'argumentation (directe, indirecte ; registres…).
- « représentative du combat des Lumières » implique que vous récapituliez les caractéristiques de la contestation au xviiie siècle (genres privilégiés, tons adoptés, idées-force, thèmes favoris, valeurs).
Pour bien réussir l'oral : voir guide méthodologique.
La question de l'homme : voir mémento des notions.
Trouver les idées directrices
Utilisez les pistes de la consigne, mais faites aussi la « définition » du texte.
Dialogue fictif (genre) entre deux volailles qui argumentent sur (type de texte) la cruauté des hommes (thème), didactique, héroï-comique, satirique, parodique (registres), animé, contrasté, trivial et soutenu, pittoresque (adjectifs), pour dénoncer les défauts et les abus des humains (buts).
PRÉSENTATION
Introduction
[Amorce] La question des rapports de force entre les hommes est au centre des préoccupations du xviiie siècle et les écrivains multiplient les stratégies argumentatives pour critiquer les abus et défendre la dignité de l'homme. [L'œuvre] Ainsi, Voltaire recourt à une grande variété de registres et de genres (lettres, dictionnaire, contes philosophiques…) pour diffuser après du grand public ses convictions de philosophe. Il reprend aussi la forme rhétorique du dialogue, genre privilégié pour aborder des sujets philosophiques depuis l'Antiquité (Platon) et s'en sert comme moyen de critique. [Le texte] Dans le « Dialogue du Chapon et de la Poularde », Voltaire, qui donne la parole à deux volailles sur le point d'être tuées pour être mangées, dénonce la violence des humains à leur égard. [Rappel de la question] Quels aspects caractéristiques du combat des Lumières pour la dignité de l'homme présente cet étrange dialogue ? [Annonce des axes] Son ton comique et parodique l'inscrit dans la « manière » du xviiie siècle [I]. Le choix de personnages animaux permet un regard distancié sur le monde humain [II]. Il porte la marque de la volonté de dénonciation qui animait le mouvement philosophique [III].
I. Un dialogue comique et parodique dans le ton de l'époque
1. Maître et disciple : parodie d'un dialogue didactique
- Les rôles sont distribués comme dans les dialogues socratiques : le disciple (la Poularde) interroge et s'étonne à travers des phrases exclamatives ; le maître (le Chapon) répond, informe et dispense le savoir.
- La longueur des répliques est significative : le Chapon a les interventions les plus longues, alors que celles de la Poularde sont parfois réduites à une seule ligne.
- Le dialogue est rigoureusement structuré, il progresse selon le schéma question-réponse et passe successivement en revue plusieurs points : les coutumes des hommes, leur insensibilité, les formes de leur cruauté. La progression est bien conforme à celle d'un dialogue didactique. Mais l'identité des interlocuteurs donne un ton comique à ce qui devrait être un dialogue sérieux. Il s'agit de volailles, donc d'animaux sans prestige : un chapon est un coq châtré ; le nom poularde, avec son suffixe péjoratif -arde, évoque un être gras et grotesque.
- Le décalage entre le sérieux de la forme, des thèmes abordés et la crudité des réalités mentionnées accentue l'effet comique : vocabulaire grossier (« cul », « matrice »), réalités triviales (« longue aiguille », « chat », « pondre », « châtrer », « opération cruelle »).
- Par un effet de contraste comique, les deux volailles recourent au contraire à des périphrases précieuses : « recevoir les faveurs du chantre du jour » = les rapports sexuels entre… la poule et le coq ; « nous n'aurons plus de consolation dans ce monde » = « nous ne pourrons plus nous accoupler » ; « faire le même outrage » ou « on nous a privés de la plus belle partie de nous-mêmes » = la castration. Ces effets comiques font du dialogue une parodie.
2. La fonction didactique du Chapon
- Son discours est très structuré. Ainsi, sa deuxième réplique passe logiquement de l'idée générale à l'explication ; il y suit l'ordre chronologique des événements, qu'il appuie sur des compléments de temps précis (« pendant quelques jours », « enfin le jour »). Les groupes ternaires des verbes donnent à son intervention un ton oratoire (« nous mettent/nous font avaler/nous crèvent ; arrachent/coupent/font rôtir ; on nous apporte/chacun dit/on fait ; l'un dit/l'autre vante/on loue »). Enfin, il utilise le présent d'habitude qui généralise son propos avant de finir sur une phrase de conclusion mise en valeur par le présentatif « et voilà » (l. 32).
- De même, sa dernière réplique suit une progression rigoureuse : il mentionne d'abord une habitude ancrée dans l'histoire (« en ont usé ainsi fort souvent »), suivie d'exemples précis, et finit en citant ses sources (« mes deux abbés disaient »).
3. La Poularde, un disciple émotif
- C'est elle qui, en quête d'informations, pose les questions. En contraste avec les phrases pompeuses et assertives du Chapon, elle recourt à de courtes exclamations renforcées par des interjections (« Quoi ! », « ah ! »), qui donnent à ses interventions un rythme heurté.
- Son lexique est celui de l'émotion : ainsi, elle est « prête à [s']évanouir ». Son effroi se marque par les reformulations à la 1re personne des tortures subies (« je serai mangée, on m'arrachera… ») ; moins soucieuse du sort de toutes les volailles que du sien propre, elle passe du général (« nous manger ») au particulier (« on m'arrachera… on me coupera… je serai rôtie et mangée ! »).
- La subjectivité du lexique péjoratif par lequel elle désigne les hommes (« monstres, coquins, scélérats, détestable engeance ») s'oppose à la neutralité maîtrisée du Chapon.
- L'opposition entre la maîtrise du Chapon et l'émotion de la Poularde répond au cliché du contraste mâle/femelle, masculin/féminin.
II. Le choix d'animaux : un regard distancié sur les humains
1. Des animaux judicieusement choisis
- Ils sont destinés à être mangés : la Poularde est une jeune poule qui a subi un engraissement intensif ; le Chapon, castré, est plus gros que le coq.
- Il est donc logique qu'ils s'indignent de cette destinée qui nous semble, à nous humains, évidente. Ils nous obligent ainsi à reconsidérer nos habitudes qu'ils dénoncent et dont la cruauté ne nous était plus sensible.
- Ils font donc apparaître ces habitudes comme relatives (« c'est leur coutume, ils sont dans l'usage de faire, en ont usé ainsi fort souvent »). Or, la notion de relativité est au centre de la pensée des philosophes des Lumières.
2. Des animaux raisonnables
- Voltaire recourt pour les décrire à des mots ordinairement appliqués aux hommes : les volailles sont mises « en prison », elles ont des « bras » et des « cuisses ». Certaines expressions ambivalentes et communes aux mondes animal et humain permettent de révéler les atrocités des hommes : ainsi, « couper la gorge » fait de l'abattage des volailles un véritable crime. Les expressions « oraison funèbre » (qui désigne les propos de table célébrant les qualités gustatives de la volaille) et « notre histoire en ce bas monde » font des volailles de véritables défunts et des êtres à part entière.
- Comme les humains, ces animaux sont caractérisés par la parole, ils sont doués de raison et ressentent des émotions. Enfin, ils sont animés par la volonté de comprendre.
- Cela permet une inversion des points de vue, caractéristique de l'argumentation au xviiie siècle : le festin est présenté du point de vue de la volaille, marqué par l'emploi de la première personne du pluriel (« nous »). Voltaire crée ainsi un effet de décalage : la position de victime de la volaille, passive malgré elle, souligne la cruauté anonyme des hommes.
- Mais en même temps le choix de tels personnages donne au dialogue un ton héroï-comique qui témoigne d'un regard distancié sur le monde : la volaille, animal commun et trivial, est caractérisée par un vocabulaire soutenu (« on loue, on vante, oraison funèbre ») ; la succession « cuisses/bras/croupion » (l. 31), qui mélange monde humain et monde animal, crée un effet comique dédramatisant.
3. Des hommes plus bestiaux que les bêtes
- Les hommes sont définis en référence au standard animal : ainsi ils sont « bipèdes comme nous et fort au-dessous de nous » (l. 44-45), dit le Chapon. Bien plus, ils apparaissent comme des animaux inférieurs puisque ce qui les caractérise, c'est le manque : « ils n'ont point de plumes », expression qui souligne la relativité des critères de jugement, chère aux Lumières.
- Contrairement aux animaux, les humains se définissent, non par la parole, mais par l'action, le plus souvent cruelle et sauvage : « arracher » (deux fois), « couper », « dévorer, crever les deux yeux ». L'homme apparaît comme un prédateur mauvais par essence (« détestable engeance », l. 40).
- La satire repose sur cette inversion des critères : considérée du point de vue des bêtes, la violence des hommes est atroce. Mais le propos de Voltaire n'est évidemment pas de dénoncer la cruauté à l'égard de la gent animale. Cette cruauté particulière est le signe d'une cruauté plus générale.
III. Une visée critique représentative des Lumières
1. La critique de la violence
- Pour accéder à la généralité, Voltaire effectue un rapprochement dans le temps : il part de références à l'Antiquité, mentionne les empereurs chrétiens et grecs, puis le Moyen Âge (« Louis le Débonnaire ») et une époque indéterminée (« ils en avaient rôti plus de vingt mille »), en fait une allusion à l'Inquisition.
- Parallèlement, le passage des animaux aux humains se fait par la reprise des mêmes termes : « crever les yeux, arracher », et surtout le verbe « rôtir » dont l'emploi traduit souligne l'inhumanité des hommes (qui traitent leurs semblables comme des animaux) et dénonce une cruauté gratuite : il ne s'agit pas de manger ses ennemis. Le chiffre « vingt mille » intensifie la dénonciation.
- La cruauté semble le trait caractéristique de l'humanité (lié à la coutume), puisqu'elle s'exerce quel que soit son objet et sa finalité.
2. Les paradoxes humains
- Ces paradoxes résident d'abord dans l'alliance de la barbarie et de la (prétendue) culture : dévorer un animal en prononçant son « oraison funèbre », c'est déguiser un instinct sauvage (« arrache, coupe, rôtir, dévorer ») sous le masque de la culture évoquée par les mots « fête, pièce d'argent, rire, contes » et de la rationalisation suggérée par les verbes de pensée ou de parole (« dit, pense, loue, vante ») qui créent un effet héroï-comique. Paradoxe aussi que de célébrer la victime que l'on a soi-même massacrée.
- Paradoxe, enfin, que l'association surprenante entre le nom de Louis le Débonnaire (c'est-à-dire « bienveillant ») et ses actes : « arracher les yeux à son neveu Bertrand ». Par l'insistance sur la parenté qui lie le bourreau et la victime, le Chapon souligne la cruauté qui consiste à torturer son semblable.
3. L'intolérance
- L'intolérance est dénoncée par la technique de l'allusion dans la dernière phrase du texte : dans l'expression « de certaines opinions qu'il serait difficile à un chapon d'expliquer », le caractère indéterminé et secondaire de ces opinions contraste avec le nombre considérable de victimes (« vingt mille »).
- Les deux relatives « qu'il serait difficile à un chapon d'expliquer, et qui ne m'importent guère » insistent sur le caractère dérisoire de ces divergences, si subtiles que seule la race inférieure des hommes s'y retrouve et qu'elles n'intéressent personne.
Conclusion
La force de cette dénonciation indirecte tient au ton comique et satirique bien dans le style des écrivains des Lumières et à l'absurdité découlant du décalage des points de vue : la cruauté des hommes paraît aveugle et injustifiable. Le dialogue parodique transforme l'histoire humaine en une série de coutumes arbitraires et violentes ; parodié, le dialogue philosophique a une vraie portée polémique. Comme La Fontaine, Voltaire utilise des animaux, mais, ici, les animaux parlent des hommes et dénoncent leurs pratiques, notamment la violence et l'intolérance religieuse.
ENTRETIEN
Qu'entend-on par « question de l'homme » ?
- La réponse à la question reprend en partie votre cours. Vous ne devez pas le réciter, mais rendre sensible votre interprétation et donner des exemples.
- Expliquez et alimentez chaque remarque d'exemples personnels.
Pour réussir l'entretien : voir guide méthodologique.
La question de l'homme : voir mémento des notions.
Pistes pour répondre à la question
La « question de l'homme » implique des interrogations sur :
- la nature humaine : est-elle unique ou multiple ? Qui est « moi » ? Qui est « l'autre » ? D'où une réflexion sur les rapports avec autrui, sur le pouvoir ;
- les « composantes » de l'homme : corps, être affectif, esprit, conscience ;
- l'idéal de vie : qu'est-ce que le bonheur ? Quelles règles morales suivre ?
- la destinée humaine : y a-t-il une fatalité ? L'homme est-il libre ? La vie humaine est-elle absurde ?
- les rapports entre les êtres : hommes et animaux ; hommes entre eux.
L'examinateur pourrait débuter l'entretien par la question suivante :