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Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ?

France métropolitaine • Juin 2023

Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ?

dissertation

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • La guerre nous répugne, surtout si elle nous paraît injuste. Mais est-ce toujours dans un souci de justice que nous désirons la paix ?

 
 

Les clés du sujet

Définir les termes du sujet

Paix

C’est au minimum une situation de tranquillité procurée par l’absence de guerre ou de conflit.

Au sens fort, c’est un idéal politique de concorde voire d’harmonie.

Justice

La notion possède une dimension juridique (est juste ce qui est conforme au droit) et éthique (est juste celui qui fait le bien).

Vouloir

Le verbe « vouloir » indique que quelque chose est jugé bon, donc souhaitable, et qu’on s’emploie activement à l’obtenir.

Il semble naturel de vouloir tout à la fois la justice et la paix. Mais on doit réfléchir ici au rapport éventuel entre ces deux quêtes.

Dégager la problématique

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Construire un plan

Tableau de 3 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 3 lignes ;Ligne 1 : 1. Le bon sens commande de chercher la paix; Pourquoi voulons-nous vivre en paix : pour établir la justice ou avant tout pour vivre tranquilles ?De quels moyens disposons-nous pour vivre en paix ?; Ligne 2 : 2. Vivre en paix ne signifie pas vivre dans la justice; Un ordre légal impose la paix, mais est-il pour autant juste ?Est-il acceptable et efficace de vouloir la paix en sacrifiant la justice ?; Ligne 3 : 3. Il faut d’abord vouloir la justice; Interrogez-vous sur le verbe « vouloir » : justice et paix sont-elles sur le même plan ?Montrez que seule la justice donne un sens fort à la paix.;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Reformulation du sujet] La guerre consiste à régler un désaccord par les armes : c’est la force qui parle et non la justice. Ce que nous recherchons au contraire, c’est tout à la fois la justice et la paix. Pour autant, vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ? [Définition des termes du sujet] Cette hypothèse semble accréditée par le fait qu’au sens fort la paix n’est pas seulement l’absence de guerre mais la concorde, et qu’il n’y a pas de société harmonieuse sans justice. [Problématique] Mais faut-il entendre par « justice » l’existence d’un ordre légal – « juste » signifiant étymologiquement « conforme au droit » – ou bien doit-on y voir aussi un idéal moral qui resterait à construire, comme le laisse entendre le verbe « vouloir » ? [Annonce du plan] Nous verrons d’abord pourquoi la paix doit être assurée par le moyen de la légalité. Nous questionnerons ensuite la capacité de l’ordre juridique à assurer la justice et la paix. On essaiera enfin de montrer que c’est d’abord la justice qu’il faut vouloir, et que la paix s’obtient de surcroît.

1. Le bon sens commande de chercher la paix

A. Vouloir la paix, c’est d’abord vouloir la tranquillité

Quand on veut la paix, on ne cherche pas nécessairement la justice mais d’abord la tranquillité, comme lorsqu’on dit : « Je veux qu’on me laisse en paix. » Face à la guerre, on pense d’abord soit à la gagner, soit à la fuir. Personne ne souhaite vivre dans un pays en guerre, où les civils comme les combattants sont exposés à tous les dangers.

Par ailleurs, on peut vouloir la paix pour des raisons très égoïstes ou très futiles : par exemple pour commercer librement, voyager où l’on veut, consommer à moindre prix. Comme le dit Montesquieu dans De l’Esprit des lois, l’esprit de commerce est favorable à la paix, mais n’est pas pour autant le signe d’une grande vertu.

B. Pour vivre en paix, il faut un État

Le conseil de méthode

Servez-vous des concepts traditionnels de la philosophie politique : état de nature, contrat social…

Il n’y a pas de paix durable hors d’un ordre juridique. Sans les lois, nous serions comme le dit Hobbes dans une « guerre de chacun contre chacun ». L’état de nature laisse place à un état civil, où la puissance du souverain garantit la coexistence pacifique des individus (police) et les protège contre les agressions extérieures (défense).

Vouloir la paix est selon Hobbes la première « loi naturelle » car c’est le meilleur calcul pour assurer sa survie. Une deuxième loi naturelle en découle logiquement : instituer l’État par le contrat social ; puis une troisième : obéir aux lois établies. Est juste l’individu qui obéit aux lois, injuste celui qui les transgresse et se pose ainsi en ennemi de la société.

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citation

« [Le souverain] dispose de tant de puissance et de force assemblées en lui que, par la terreur qu’elles inspirent, il peut conformer la volonté de tous en vue de la paix à l’intérieur et de l’entraide face aux ennemis de l’étranger. » (Hobbes, Léviathan)

[Transition] Une institution légale dotée d’une force publique est le seul moyen de garantir la paix. Peut-on pour autant considérer qu’elle incarne pleinement la justice et qu’elle réalise à coup sûr cette finalité ?

2. Vivre en paix ne signifie pas vivre dans la justice

A. Il faut distinguer la paix civile et la justice

Dans les Pensées, Pascal distingue la paix civile, qui peut être assurée, et la justice, qui n’existe pas parmi les hommes car ils sont méchants. Mais comme il faut régler cet « hôpital de fous » qu’est la société, on a instauré, pour la pacifier, un ordre qui passe pour juste, mais qui ne l’est pas vraiment.

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citation

« Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble et que la paix fût. » (Pascal, Pensées)

Autrement dit, la communauté confisque aux individus l’exercice de la violence et se le réserve. Mais si l’État n’impose la paix que par la force, sa légitimité est discutable : « Si on élimine la justice [demande Augustin dans La Cité de Dieu] que sont les royaumes, sinon du brigandage en grand ? »

B. Il est dangereux de vouloir la paix sans vouloir la justice

Assurer la sécurité est le prétexte le plus communément utilisé pour réduire les libertés. Mais dans le Contrat social, Rousseau rappelle que, loin d’assurer la sécurité, les rois oppriment leurs sujets et les affament pour conduire des guerres. Le peuple ne saurait renoncer à sa liberté, et s’il était tenté de le faire, il devrait savoir qu’il n’obtiendra en réalité par ce moyen ni la justice, ni même la paix.

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citation

« Les tyrans et les flatteurs crient sans cesse : peuples, portez vos fers sans murmure, car le premier des biens est le repos ; ils mentent, c’est la liberté. » ­(Rousseau, Correspondance)

On veut bien entendu la paix et la justice, mais elles ne sont pas toujours possibles ensemble, car vouloir la paix ne justifie pas tout. Le « pacifisme » peut même s’avérer dangereux pour la démocratie. Un désir trop ardent pour la paix a déjà contribué au succès de régimes absolument injustes, comme lorsqu’en 1940, les parlementaires de la IIIe République votèrent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

[Transition] Lorsqu’on veut la paix à tout prix, et qu’on ne voit la justice que comme un moyen de l’assurer, on n’obtient finalement ni l’une ni l’autre. Ne faut-il pas dès lors inverser l’ordre de priorité entre les deux ?

3. Il faut d’abord vouloir la justice

A. Paix et justice ne sont pas sur le même plan

Paix et justice ne sont pas moralement sur le même plan, car si la paix est souhaitable, la justice est exigible. On ne doit donc pas « vouloir » l’une et l’autre de la même façon : la première fait l’objet d’un désir et la seconde fait l’objet d’un devoir. Si l’une des deux doit être sacrifiée à l’autre, c’est la justice qu’on doit privilégier.

Dans son Projet de paix perpétuelle, Kant prône une « politique morale », c’est-à-dire une pratique du pouvoir inconditionnellement respectueuse du droit. Or, il affirme, à l’inverse de Machiavel, que la voie de la justice est aussi la plus efficace pour instaurer la paix. Ainsi, il faut vouloir une constitution républicaine car elle est la plus juste. Mais il se trouve qu’elle est aussi la plus propice à la paix : comme ce sont les citoyens qui décident, ils y réfléchiront à deux fois avant d’entrer en guerre.

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l’auteur

Nicolas Machiavel (1469-1527).

Machiavel soutient qu’en politique, tous les moyens sont bons dès lors qu’ils sont efficaces. Le prince doit assurer la stabilité de l’État, en sacrifiant au besoin la moralité et la justice.

B. Seule la justice donne un sens à la paix

Au sens fort, la paix est un idéal politique qui ne se réduit pas à l’absence de guerre ou de conflit, mais qui signifie l’harmonie et la concorde. Pour Spinoza, cela présuppose que la justice règne d’abord dans l’État et dans les âmes : sans des individus guidés par la raison et des institutions garantissant la liberté, la société reste sauvage, car la peur gouverne une partie des esprits et un sentiment de révolte anime l’autre partie.

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citation

« La paix n’est pas la simple absence de guerre, elle est une vertu qui a son origine dans la force d’âme. »

(Spinoza, Traité politique)

Il en va de même dans les relations internationales : aucun traité de paix n’est durable s’il ne garantit pas au vaincu une certaine équité. Dans le Traité des devoirs, Cicéron estime qu’on ne doit entrer en guerre qu’en dernier recours, et encore ne faut-il le faire que « pour vivre en paix sans injustice », donc en respectant certaines règles. Par conséquent, c’est toujours le souci de la justice qui doit nous guider dans la paix comme dans la guerre.

Conclusion

La paix et la justice ne sont pas équivalentes, et ne doivent donc pas être voulues de la même manière. Si une relation de cause à effet peut s’établir entre la recherche de l’une et celle de l’autre, ce n’est pas dans le sens qu’on pourrait croire au premier abord. La paix n’est souhaitable qu’à la condition d’avoir toujours en vue la justice.

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