S'entraîner
Visions poétiques du monde
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Antilles, Guyane • Septembre 2018
Voyage en train
Intérêt du sujet • Le poème de Valérie Rouzeau et le tableau d'Edward Hopper évoquent l'un et l'autre ce moment particulier que représente un voyage en train : une sorte de périple intérieur.
document ATexte littéraire
Je pars le cœur tapant prendre le train en marche
Pile au signal sonore monterai mon bagage avec ma vie entière
Sur les rails je penserai à toute vitesse au bonheur étrange de sentir mon poids de chagrin lancé par des plaines jamais vues
J'apercevrai peut-être un vrai oiseau dont on me dira plus tard que c'était un hiatus1
Tant de vide où se jeter qu'on parle de ciel pour remettre les choses à leur place qu'on croit
Un vrai oiseau une authentique joie ça va où
Nous serons bien avancés quand j'aurai posé pour moi cette question waouh
Et cette question de ma peine et des plaines pleines de ma peine et de vent je la laisse en suspens
On m'attendra sur le quai à l'heure exacte je saluerai coucou par la fenêtre j'aurai fait bon voyage
La nourriture sera bonne le lit confortable je n'aurai ni faim ni sommeil mais je ferai comme si parce que ça ne mange pas de pain2 contrairement aux oiseaux
Puis je repartirai le cœur en miettes toujours tapant et éperdu
pour Cabou
Valérie Rouzeau, Va où, 2015, © Éditions de La Table ronde.
1. Hiatus : succession de deux voyelles appartenant à des syllabes différentes à l'intérieur d'un mot. C'est le cas, ici, de « vrai oiseau ».
2. Ça ne mange pas de pain : expression qui signifie « ça ne nécessite pas de grande dépense ou de grands efforts, cela ne peut nuire ou cela ne fait pas prendre de grands risques ».
document bEdward Hopper, Compartiment C, voiture 293, 1938
Collection IBM, Armonk, New York.
Travail sur le texte littéraire et sur l'image 50 points • ⏱ 1 h 10
Les réponses doivent être entièrement rédigées.
Grammaire et compétences linguistiques
▶ 1. Remplacez « je » par « nous », et les verbes qui sont conjugués au présent et au futur par le passé composé, dans le passage suivant. (10 points)
« Je pars le cœur tapant prendre le train en marche
Pile au signal sonore monterai mon bagage avec ma vie entière
Sur les rails je penserai à toute vitesse au bonheur étrange de sentir mon poids de chagrin lancé par des plaines jamais vues » (vers 1 à 3)
▶ 2. « On me dira plus tard que c'était un hiatus. » (vers 4)
a) Quelle est la classe grammaticale de « que » ? (2 points)
b) De laquelle des deux constructions suivantes pouvez-vous rapprocher le vers de Valérie Rouzeau ? Justifiez votre réponse. (2 points)
A. Je pense que les voyages forment la jeunesse.
B. Les voyages que j'ai faits m'ont ouvert l'esprit.
▶ 3. Relevez deux expressions relevant de la langue orale plutôt que de la langue écrite et justifiez votre réponse. (4 points)
▶ 4. « Je la laisse en suspens » (vers 8)
a) De quel verbe vient le terme « suspens » ? (1 point)
b) Quel mot est repris par le pronom personnel « la » ? (1 point)
c) À partir des deux réponses précédentes, quel sens donnez-vous à l'expression « Je la laisse en suspens » ? (2 points)
Compréhension et compétences d'interprétation
▶ 5. De quoi ce texte nous parle-t-il ? Relevez et nommez le champ lexical correspondant. (2 points)
▶ 6. À quel genre appartient ce texte ? Trouvez trois justifications. (4 points)
▶ 7. a) Quelles sont les deux émotions opposées évoquées par le personnage ? (2 points)
b) Pour quelles raisons les évoque-t-il ? (4 points)
▶ 8. « Et cette question de ma peine et des plaines pleines de ma peine » (vers 8)
a) Laquelle des deux émotions est exprimée ici ? (1 point)
b) Par quels procédés d'écriture cette émotion est-elle mise en valeur ? (4 points)
▶ 9. « Je pars le cœur tapant prendre le train en marche » (vers 1)
« Puis je repartirai le cœur en miettes toujours tapant et éperdu » (vers 11)
Comparez le premier vers et le dernier vers du texte. Que montrent-ils du voyage ? (3 points)
▶ 10. Quel lien percevez-vous entre le titre Va où et le texte ? (2 points)
▶ 11. a) Quels rapprochements pouvez-vous faire entre le tableau d'Edward Hopper et ces vers d'Hubert-Félix Thiéfaine ? Justifiez votre réponse. (3 points)
« ton compartiment
reflète sans passion
ton comportement
de femme de salon
voyageuse solitaire
entourée de mystère »
Hubert-Félix Thiéfaine, « Compartiment C voiture 293 », Suppléments de mensonge, 2011.
b) Selon vous, la femme représentée dans le tableau d'Edward Hopper pourrait-elle être la voyageuse du texte de Valérie Rouzeau ? Expliquez. (3 points)
Dictée 10 points • ⏱ 20 min
Les mots « Orient-Express » et « Sud-Brenner-Bahn », ainsi que le titre et le nom de l'auteur sont écrits au tableau.
Valéry Larbaud
« Ode », in Les Poésies de A.O. Barnabooth
© Éditions Gallimard, 1913
[…] Prêtez-moi, ô Orient-Express, Sud-Brenner-Bahn, prêtez-moi
Vos miraculeux bruits sourds et
Vos vibrantes voix de chanterelle ;
Prêtez-moi la respiration légère et facile
Des locomotives hautes et minces, aux mouvements
Si aisés, les locomotives des rapides,
Précédant sans effort quatre wagons jaunes à lettres d'or
Dans les solitudes montagnardes de la Serbie,
Et, plus loin, à travers la Bulgarie pleine de roses…
Ah ! il faut que ces bruits et que ce mouvement
Entrent dans mes poèmes et disent
Pour moi ma vie indicible, ma vie
D'enfant qui ne veut rien savoir, sinon
Espérer éternellement des choses vagues.
Rédaction 40 points • ⏱ 1 h 30
Vous traiterez au choix l'un des deux sujets suivants.
Sujet d'imagination
Vous effectuez un voyage. Dans un texte poétique (en prose ou en vers libres comme dans Va où), vous raconterez le trajet qui a provoqué en vous des sentiments et émotions variés. Vous vous efforcerez de faire percevoir à votre lecteur en quoi cette expérience était unique. Comme dans le texte de Valérie Rouzeau, vous veillerez à proposer une langue imagée.
Sujet de réflexion
À votre avis, pour quelles raisons peut-on dire que le voyage est enrichissant et formateur ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur votre expérience, vos lectures, votre culture artistique et personnelle.
Les clés du sujet
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Recherche d'idées
Conseils de rédaction
Écris en prose ou en vers libres. La prose, c'est un texte qui n'est pas en vers. Il existe des poèmes en prose. Quant aux vers libres, ce sont des vers de longueurs différentes, contrairement aux vers réguliers.
Tu n'es pas obligé de faire des phrases. Tu peux employer des groupes nominaux, des interjections, ne pas mettre de ponctuation : c'est la grande liberté qu'offre la poésie. Mais il ne faut pas pour autant écrire n'importe quoi !
Traiter le sujet de réflexion
Recherche d'idées
Conseils de rédaction
Organise ton texte en plusieurs paragraphes qui correspondront chacun à un argument :
les voyages nous apportent de nouvelles connaissances sur le monde et aiguisent notre curiosité ;
ils nous font prendre conscience de la beauté, mais aussi de la fragilité de notre planète ;
ils nous font découvrir des modes de vie différents des nôtres et nous sortent de notre égoïsme et de notre routine quotidienne ;
ils enrichissent notre imagination.
Tu peux en trouver d'autres encore…
Pense à employer des connecteurs pour introduire tes différents paragraphes : « tout d'abord », « ensuite », « aussi », « également », « enfin »…
Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Grammaire et compétences linguistiques
▶ 1. Les modifications sont en couleur.
« Nous sommes partis le cœur tapant prendre le train en marche
Pile au signal sonore avons monté notre bagage avec notre vie entière
Sur les rails nous avons pensé à toute vitesse au bonheur étrange de sentir notre poids de chagrin lancé par des plaines jamais vues ».
▶ 2. a) « Que » est une conjonction de subordination.
b) On peut rapprocher le vers de Valérie Rouzeau de la construction suivante : A. Je pense que les voyages forment la jeunesse. En effet, « que », dans les deux cas, introduit une proposition conjonctive complétive, alors que dans la seconde construction (B. Les voyages que j'ai faits m'ont ouvert l'esprit), « que » est un pronom relatif mis pour l'antécédent « les voyages ».
▶ 3. « Un vrai oiseau une authentique joie ça va où » et « Nous serons bien avancés quand j'aurai posé pour moi cette question waouh » sont des expressions qui appartiennent à la langue parlée. « ça va où » est une construction familière et « waouh » une interjection.
▶ 4. a) « Suspens » vient du verbe « suspendre ».
b) Le mot repris par le pronom personnel « la » est « question ».
c) Cette expression signifie, selon moi, que la narratrice laisse la question en attente de réponse.
Compréhension et compétences d'interprétation
▶ 5. Le poème nous parle de voyage, et plus précisément d'un voyage en train. Les mots qui appartiennent à ce champ lexical sont les suivants : « pars », « train », « en marche », « bagage », « rails », « vitesse », « quai », « voyage », « repartir ».
info +
Un « champ lexical » désigne tous les mots qui appartiennent à un même thème. Ce peut être aussi bien des noms, des verbes, des adjectifs ou encore des adverbes.
▶ 6. Le texte appartient au genre poétique. Il est écrit en vers libres, sans ponctuation et prend des libertés avec la syntaxe. Il repose sur des images originales et une grande musicalité.
▶ 7. a) Les deux émotions contradictoires évoquées sont le bonheur et le chagrin.
b) La narratrice les exprime pour s'épancher, essayer de les comprendre et les partager avec le lecteur comme dans tout poème lyrique.
▶ 8. a) C'est le chagrin qui est ici exprimé.
b) Valérie Rouzeau met cette émotion en valeur en jouant avec la répétition du mot « peine », avec l'homophonie de « pleine » et « plaine » et avec les assonances et les allitérations :
« Et cette question de ma peine et des plaines pleines de ma peine ».
info +
Une assonance est la répétition d'un même son voyelle ; une allitération, la répétition d'un même son consonne.
▶ 9. Le premier et le dernier vers se répondent : ils encadrent le poème. Ils montrent que les voyages, ce sont toujours de nouveaux départs, de nouveaux adieux. Où qu'on aille, on emporte sa peine. On part plein d'espoir, « le cœur tapant » mais on repart « le cœur en miettes toujours tapant ».
▶ 10. Le titre évoque un voyage en suspens, puisque la phrase est incomplète et sans ponctuation. On peut rapprocher le titre du vers suivant, ce qui l'éclaire un peu : « Un vrai oiseau une authentique joie ça va où ». La voyageuse se demande où aller pour être heureuse, où trouver une joie vraie et authentique.
▶ 11. a) Les vers d'Hubert-Félix Thiéfaine évoquent la jeune femme du tableau, comme l'indique le titre du poème qui est la reprise exacte de celui de la peinture. Le poète s'adresse à la voyageuse peinte par Hopper, une femme élégante, solitaire et mystérieuse, dont le visage reste dans l'ombre de son grand chapeau.
b) La femme du tableau est bien différente de celle du poème de Valérie Rouzeau : si la première ne laisse pas transparaître ses sentiments et semble impassible, voire indifférente, à ce qui l'entoure, la seconde est tout entière à ses impressions et à ses émotions.
Dictée
Point méthode
1 Ne confonds pas les terminaisons de l'impératif (prêtez) et de l'infinitif (espérer) pour les verbes du 1er groupe. Pour distinguer les deux, remplace le verbe du 1er groupe par un verbe d'un autre groupe :
Prêtez-moi → Offrez-moi = impératif.
Espérer éternellement → vouloir éternellement = infinitif.
2 Attention aux accords, ils sont très nombreux dans ce poème ! N'oublie pas les marques du pluriel (s, x, ent).
Prêtez-moi, ô Orient-Express, Sud-Brenner-Bahn, prêtez-moi
Vos miraculeux bruits sourds et
Vos vibrantes voix de chanterelle ;
Prêtez-moi la respiration légère et facile
Des locomotives hautes et minces, aux mouvements
Si aisés, les locomotives des rapides,
Précédant sans effort quatre wagons jaunes à lettres d'or
Dans les solitudes montagnardes de la Serbie,
Et, plus loin, à travers la Bulgarie pleine de roses…
Ah ! il faut que ces bruits et que ce mouvement
Entrent dans mes poèmes et disent
Pour moi ma vie indicible, ma vie
D'enfant qui ne veut rien savoir, sinon
Espérer éternellement des choses vagues.
Rédaction
Voici un exemple de rédaction sur chacun des deux sujets.
Attention les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur ta copie.
Sujet d'imagination
conseil
Tu peux insérer des comparaisons ou des métaphores, comme ici où le train est comparé à un long serpent.
[Départ]
Brouhaha
Appel et annonces qu'on ne comprend pas
Bousculade
La main serrée fort
Pour ne pas se perdre
Les valises s'entrechoquant
Excitation et angoisse du départ
Agitation quai 12
Le train long serpent qui attend
Voyageurs en partance
[Le voyage]
Portières qui claquent
Sifflets du chef de gare
Le paysage à rebours
Nous sommes partis
Au bout des rails l'inconnu
Un ailleurs tant rêvé
Venise et ses palais mouillés
Son grand canal ses gondoliers
Dans le compartiment nous nous couchons
Bientôt il fera nuit
Le train me berce doucement
Je voyage en dormant
[Arrivée]
Au réveil m'accueille la lagune
Encore ensommeillée
Je rêve aux palais dorés
Et au chant des gondoliers
Sujet de réflexion
[Introduction : présentation de la question posée] « Les voyages forment la jeunesse ». Ce proverbe, qui ne le connaît pas ? Mais qu'entend-on par « former » ? En quoi les voyages peuvent-ils être une source d'enrichissement ?
[Élargir son horizon, faire de nouvelles découvertes] Voyager, c'est tout d'abord changer d'horizon, aller vers l'inconnu, faire de nouvelles découvertes. De tout temps des hommes se sont faits explorateurs, au risque de leur vie – Marco Polo, Christophe Colomb, Vasco de Gama, Neil Armstrong – et sont partis à la découverte d'autres pays, d'autres continents, d'autres civilisations et même de la Lune. De nos jours, l'exploration spatiale se poursuit vers d'autres planètes, repoussant toujours plus loin les frontières de notre monde connu.
[Prendre conscience de la fragilité de notre Terre] Voyager, c'est aussi prendre conscience de la beauté et de la richesse de notre planète aux paysages si variés – la forêt vierge, le désert, la montagne, la banquise – mais aussi de sa fragilité et de l'urgence de la protéger.
[Découvrir d'autres modes de vie] Voyager, c'est également se confronter à d'autres civilisations, d'autres modes de vie. Cela permet d'abandonner ses préjugés et ses œillères, de lutter contre le racisme et la xénophobie, de sortir de sa zone de confort et de prendre conscience de son existence privilégiée, lorsque l'on se trouve au contact de la pauvreté ou des difficultés que rencontrent d'autres populations dans le monde.
[Enrichir son imaginaire] Voyager, ce n'est pas nécessairement aller loin, prendre un train, un avion : il suffit parfois de tourner un coin de rue, d'explorer un autre quartier pour être confronté à l'inconnu ; il suffit parfois d'ouvrir un livre pour vivre des aventures exaltantes, comme celles que nous font partager les récits de Jules Verne – Voyage au centre de la Terre, Le Tour du monde en quatre-vingts jours – ou encore L'Île au trésor de Stevenson. Voyager, ce peut être tout simplement fermer les yeux et se laisser aller au gré de son imagination.
[Conclusion] Les voyages sont donc une merveilleuse source d'enrichissement : ils nous font grandir, découvrir d'autres paysages, d'autres civilisations, nous sortent de notre quotidien et aiguisent notre curiosité. Ils nous rendent moins égoïstes et plus responsables. Encore faut-il sortir des sentiers battus et des voyages organisés pour explorer le monde en toute liberté.