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Weil, Attente de Dieu

La religion

Weil, Attente de Dieu

Explication de texte

4 heures

20 points

Intérêt du sujet • Pour adopter une religion, il faut d'abord la connaître. Pour le croyant, sa religion a un sens profond et intime. La croyance suppose avant tout des raisons de croire. Mais tant qu'on demeure extérieur à cette religion, peut-on réussir à la connaître ?

 

Expliquez le texte suivant :

La comparaison des religions n'est possible dans une certaine mesure que par la vertu miraculeuse de la sympathie. On peut dans une certaine mesure connaître les hommes si en même temps qu'on les observe du dehors on transporte en eux pour un temps sa propre âme à force de sympathie. De même l'étude de différentes religions ne conduit à une connaissance que si on se transporte pour un temps, par la foi, au centre même de celle qu'on étudie. Par la foi au sens le plus fort du mot.

C'est ce qui n'arrive presque jamais. Car les uns n'ont aucune foi ; les autres ont foi exclusivement dans une religion et n'accordent aux autres que l'espèce d'attention qu'on accorde à des coquillages de forme étrange. D'autres encore se croient capables d'impartialité parce qu'ils ont une vague religiosité qu'ils tournent indifféremment n'importe où. Il faut au contraire avoir accordé toute son attention, toute sa foi, tout son amour à une religion particulière pour pouvoir penser à chaque autre religion avec le plus haut degré d'attention, de foi et d'amour qu'elle comporte. De même ce sont ceux qui sont capables d'amitié, non les autres, qui peuvent aussi s'intéresser de tout leur cœur au sort d'un inconnu.

Simone Weil, Attente de Dieu, © Librairie Arthème Fayard, 1966.

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

 

Les clés du sujet

Repérer le thème et la thèse

Dans ce texte, Simone Weil s'intéresse aux moyens de comparer les religions. Une telle comparaison semble nécessaire pour chacun, qu'il s'agisse de l'historien des religions ou de la simple personne qui s'interroge sur la valeur des différentes religions.

D'emblée, un problème apparaît : suffit-il d'observer les caractéristiques extérieures d'une religion pour en saisir l'essentiel ou doit-on au contraire faire preuve de « sympathie » ?

Dégager la problématique

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Repérer les étapes de l'argumentation

Tableau de 2 lignes, 2 colonnes ;Corps du tableau de 2 lignes ;Ligne 1 : 1. La sympathie (l. 1 à 7); Comment la sympathie est-elle définie dans le premier paragraphe ? Pourquoi permet-elle de connaître une religion ?En quoi cette connaissance implique-t-elle la foi ?; Ligne 2 : 2. Comment connaître une religion ? (l. 8 à 17); Distinguez les différents cas où la connaissance de la religion est impossible.Montrez en quoi la thèse de Simone Weil peut paraître paradoxale en la rapportant à la façon dont on définit habituellement une connaissance impartiale.;

Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Comparer les différentes religions paraît nécessaire à celui qui veut en connaître la valeur et éventuellement adhérer à l'une d'elles. [Problématique] Mais à quelles conditions une telle comparaison est-elle possible ? Suffit-il d'observer les caractéristiques extérieures d'une religion pour en saisir l'essentiel ? [Annonce du plan] Dans un premier temps, Simone Weil montre que toute comparaison entre différentes religions implique un effort de sympathie. Dans un second temps, cela la conduit à affirmer que tout le monde ne peut pas connaître la religion.

1. La sympathie

A. Une thèse paradoxale

Simone Weil s'interroge sur les conditions de possibilité d'une comparaison des religions entre elles : qu'est-ce qui permet de comparer les différentes religions ? On pourrait attendre ici un éloge de l'objectivité : il faudrait être extérieur aux religions pour pouvoir les comparer. Or, pour Simone Weil, c'est la sympathie qui permet la comparaison entre les religions.

Le conseil de méthode

Pour montrer les enjeux d'un texte, on peut comparer les affirmations de l'auteur à l'opinion commune. Dirait-on tout à fait la même chose ? Pourquoi ? Cela permet de mettre en valeur l'originalité de l'auteur.

Cette affirmation semble paradoxale : habituellement, on considère qu'un effort d'impartialité permet une connaissance objective. Au contraire, la sympathie semble introduire un préjugé favorable quant à l'objet à connaître, si bien qu'il devient impossible de le connaître faute d'impartialité.

B. Qu'est-ce que la sympathie ?

Le terme « sympathie » vient du grec syn pathos (« souffrir avec »). Simone Weil distingue deux points de vue possibles sur les hommes : soit « on les observe du dehors », soit on fait preuve de sympathie, c'est-à-dire « on transporte en eux pour un temps sa propre âme ». La priorité est donnée à ce second point de vue : il faut apprendre à ressentir ce que les autres ressentent.

définition

La sympathie est une notion souvent reprise par les philosophes. Hume propose de fonder la morale sur la sympathie : meilleur moyen de saisir ce que ressent autrui, la sympathie permet de me mettre à la place de l'autre et de penser le bien et le mal.

La sympathie implique une forme de déplacement de soi à l'autre : il s'agit de sentir ce que ressent l'autre, de se mettre littéralement à sa place. Ainsi, Simone Weil définit la religion comme une expérience intime du sujet. Connaître la religion à partir de croyances et de rites extérieurs, ce n'est pas connaître la religion dans ce qu'elle a d'essentiel.

C. De la sympathie à la foi

La sympathie est permise « par la foi », « par la foi au sens le plus fort ». Le mot « foi » signifie d'abord la confiance en quelque chose ou en quelqu'un. Il désigne par suite la croyance religieuse : le fait d'avoir confiance en un texte, en une figure marquante, le fait de s'engager à les suivre.

Ainsi, il faudrait avoir la foi pour connaître et comparer les différentes religions. Seul un esprit religieux pourrait connaître véritablement une religion, quelle qu'elle soit. Cela pose problème, dans la mesure où c'est souvent celui qui n'a pas encore la foi qui voudrait comparer les différentes religions.

[Transition] Pourtant, Simone Weil montre qu'une telle connaissance « n'arrive presque jamais ». La foi ne suffit-elle pas à connaître la religion ?

Le secret de fabrication

On trouve souvent les transitions dans le texte lui-même : l'auteur insiste sur un problème qui le conduit à préciser sa pensée.

2. Comment connaître une religion ?

A. « Celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas »

Simone Weil montre qu'une comparaison véritable entre les différentes religions est presque impossible. Elle exclut d'abord ceux qui n'ont pas la foi. Seule la foi permet une sympathie authentique à l'égard de ceux qui ont la foi.

Mais elle exclut aussi ceux qui « ont foi exclusivement dans une religion ». Cette affirmation est étonnante, car on considère que la foi est toujours exclusive : on est juif, chrétien ou musulman, mais pas les trois en même temps. Ce sur quoi insiste Simone Weil, c'est l'idée selon laquelle celui qui adhère dogmatiquement à une religion ne verra dans celle des autres qu'un objet exotique, étrange, mais ne saura pas véritablement faire preuve de sympathie.

B. Critique de la « vague religiosité »

définition

La religiosité est une disposition à la religion, une tendance à croire ou à s'intéresser aux différentes religions. Elle ne signifie pas pour autant une adhésion à une religion particulière.

Il faudrait donc, pour pouvoir comparer les religions, avoir la foi non pas en une religion particulière, mais en plusieurs, c'est-à-dire saisir ce qu'elles ont de commun (la croyance en un Dieu, en la nécessité de faire le bien). On passe de la religion à la religiosité.

à noter

Ce titre reprend un vers d'Aragon dans le poème « La Rose et le Réséda ». Tout le poème repose sur une comparaison entre celui qui a la foi et celui qui ne l'a pas pour montrer que tous deux s'engagent de la même façon dans la résistance.

Or Simone Weil rejette également la religiosité, qui ne permet pas de connaître une religion dans ce qu'elle a de véritable. L'argument sur lequel elle s'appuie consiste à montrer que l'incapacité à choisir une religion n'est pas synonyme d'impartialité. Elle vaut plutôt comme un manque d'engagement.

C. Qui peut donc connaître une religion ?

Le fait d'avoir écarté plusieurs points de vue possibles nous permet finalement d'établir qui peut faire preuve de sympathie à l'égard des religions : c'est celui qui s'est pleinement engagé dans une religion qui peut penser à une autre religion. Ainsi, paradoxalement, seul un authentique musulman peut par exemple comprendre la valeur de l'expérience d'un authentique chrétien.

La foi est rapportée ici à une notion étonnante : l'attention. Cette faculté consiste à être capable de porter toute sa pensée sur un point précis. On peut être plus ou moins attentif. Ce qui permet la sympathie, c'est cette capacité de suspendre sa propre pensée pour comprendre pleinement un autre objet. La comparaison avec l'amitié est significative : seul celui qui sait suspendre un instant la recherche de son propre intérêt peut s'ouvrir aux autres.

Conclusion

Comme la religion se définit essentiellement par une disposition subjective, une connaissance objective, extérieure, de la religion ne sert à rien pour comprendre le phénomène religieux. Seule la sympathie permet de saisir ce qu'est vraiment une religion et de comparer les différentes religions entre elles. Simone Weil s'oppose ainsi à une réduction sociologique de la religion, qui ferait de cette dernière une somme de croyances dogmatiques et de rites susceptibles d'être connus indépendamment d'un effort de l'individu pour en saisir la vérité intrinsèque.

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