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La justice
Les rapports de la justice et du droit sont doubles car ces deux termes s'entendent à la fois comme institution et comme norme, c'est-à-dire à la fois comme fait et comme valeur.
Comme institution la justice est le pouvoir judiciaire. Le pouvoir judiciaire qui va sanctionner la non-conformité des faits ou des actes avec le droit, avec le droit c'est-à-dire avec l'ensemble des lois énoncées, édictées, instituées par le pouvoir législatif.
L'institution judiciaire est composée des juges, des tribunaux et de la police.
Et comme institution le droit qui en latin se dit « jus », le droit est l'ensemble des lois instituées par les hommes pour réguler, régir les rapports sociaux. Alors le droit prescrit trois choses :
- Ce qui doit être ;
- Ce qui peut-être ;
- Ce qui ne doit pas être.
Ce qui doit être c'est l'obligation, ce qui peut être c'est la permission et ce qui ne doit pas être c'est l'interdiction.
Enfin le droit permet de juger et de rectifier les faits. Il permet donc d'évaluer ce qui est par rapport à ce qui doit être et finalement, pour combattre sa transgression, le droit prévoit des contraintes et des sanctions applicables par la force publique, en l'occurrence l'État. En ce sens, le droit c'est la norme de la justice ; le pouvoir judiciaire applique le droit.
Mais le droit et la justice ne s'entendent pas seulement comme institution, ils s'entendent aussi comme norme, comme valeur ou comme exigence morale.
Comme norme, valeur ou exigence morale la justice c'est l'ordre idéal où chacun reçoit exactement ce qui lui est dû. Alors en ce sens ce n'est plus le droit qui est la norme de la justice mais la justice qui devient la norme du droit. En effet, la justice est la norme du droit que l'on appellera droit positif ou droit institué par les hommes pour autant que les lois établies se veulent justes, se veulent légitimes.
Enfin, comme vertu morale la justice c'est la ferme volonté de défendre cet ordre jugé légitime, c'est en ce sens que l'on dit « agir avec justice » ou « avoir l'esprit de justice ». On distinguera donc vous le voyez deux types de justice et deux types de droit selon que la justice et le droit seront entendus comme fait ou comme valeur, comme institution ou comme norme, comme exigence sociale ou comme exigence morale.
Alors, comme exigence sociale, la justice c'est la justice positive qui veille à la bonne application du droit institué et comme fait de même le droit s'appelle « le droit positif », il est l'ensemble des lois instituées dans un pays et à une époque donnée.
Maintenant comme valeur, norme ou comme exigence morale la justice c'est la justice idéale, la conformité non plus aux droits et aux lois instituées mais la conformité au droit naturel, à l'égalité, à l'équité et le droit comme valeur, norme ou exigence morale, le droit ce n'est plus donc le droit positif, ce n'est plus les lois instituées mais c'est le droit naturel, le droit non écrit, les lois justes et considérées comme inaliénables.
Bref, du côté des faits nous avons la légalité et du côté des valeurs nous avons la légitimité. La légalité c'est ce qui a une origine sociale, historique, factuelle donc, tandis que la légitimité c'est ce qui a un fondement. La légalité est donc justifiée, fondée par la légitimité et de même la légitimité permet de juger de la légalité. Ce sera au nom de la légitimité, que la légalité donc que les lois instituées pourront être jugées justes. Et c'est la légitimité, donc les valeurs, qui vont inspirer la rédaction des lois du droit positif. Vous comprenez donc qu'une loi peut bien être légale, c'est-à-dire instituée, mais pour autant jugée illégitime, c'est-à-dire injuste. Et ce sera au nom de la légitimité que l'on pourra s'opposer et désobéir aux lois.
Peut-on se faire justice soi-même ? C'est-à-dire a-t-on le droit de se venger ? Il est vrai que toute vengeance s'accompagne d'un sentiment de profonde justice ; celui qui se venge pense se faire justice lui-même et être dans son bon droit même s'il use pour cela d'un moyen illégal, c'est-à-dire contraire au droit établi, au droit positif. Mais est-il toujours juste de se venger ? La justice véritable n'exige-t-elle pas plutôt de renoncer précisément à toute vengeance et d'accepter de s'en remettre au verdict d'un juge ? En ce cas indissociable de l'arbitrage d'un juge, la justice véritable serait indissociable du droit et c'est bien là la position du philosophe Alain qui dans un propos de 1923 nous dit : « L'acte juridique essentiel consiste en ceci que l'on renonce solennellement à soutenir son droit par la force », car en effet ce que veut dire Alain ici, c'est que soutenir son droit par la force c'est ne s'en remettre qu'à soi-même, et donc se faire à la fois juge et partie. Pour qu'il y ait donc vraiment droit, il faut que les forces en présence, les forces en conflit s'en remettent au jugement d'un tiers, c'est-à-dire d'un arbitre impartial. Et en ce sens la valeur de l'arbitrage ne tient pas tant au jugement rendu qu'à l'accord des parties entre elles de déposer les armes et de vouloir qu'un jugement soit rendu.
Bref, s'en remettre au droit c'est donc déjà faire la paix. Le juge ne peut parler que si les armes se taisent ; on n'a d'ailleurs pas le droit de pénétrer armé dans l'enceinte d'un tribunal. Et il faut bien comprendre que la vengeance, se faire justice soi-même, alimente le conflit car l'offensé y devient à son tour offenseur. C'est un acte de violence individuel, arbitraire, passionnel qui, comme le dit Hegel, « provoque inexpiablement à l'infini de nouvelles vengeances » ; c'est ce qu'on appelle « la spirale de la vendetta ».
Au contraire, la punition légale repose sur la généralité de la loi. C'est la même loi pour tous et sur la décision d'un juge impartial, c'est-à-dire non impliqué dans le litige, n'ayant donc rien d'une nouvelle offense, seule la punition légale peut pacifier les relations humaines.
Mais puisque punir consiste toujours à infliger une souffrance à quelqu'un, donc un mal, par exemple l'emprisonnement, il faut se demander comment un mal peut être juste et légitime. Disons qu'une action n'est justifiée que par le bien qui en résulte. Dès lors punir, donc infliger un mal, ne sera justifié que s'il n'en résulte pas seulement de la souffrance pour quelqu'un mais aussi quelque chose de bon pour celui qui est puni, une mémoire et une volonté de changer ainsi que quelque chose de bon pour la société qui punit, une paix civilisatrice. C'est pourquoi, comme le dit le philosophe contemporain Marcel Conche, « on a le droit de punir seulement celui qui est capable de comprendre qu'il est puni ». Autrement dit, la punition légale, si elle veut être juste, ne doit pas avoir pour but la souffrance mais la réparation et l'amélioration.
Bref, il faut toujours se demander si le droit est juste et c'est précisément ce doute sur le droit qui, selon le philosophe Alain, définit la justice.
Penchons-nous maintenant brièvement sur un sujet de baccalauréat : « la violence peut-elle être un remède à l'injustice ? ».
Alors il faut d'abord bien comprendre le sujet, pour cela le reformuler, la violence peut-elle être un remède à l'injustice ? La question qui est ici posée c'est de savoir si le recours à la violence, la violence étant un usage immodéré de la force, eh bien si ce recours à la violence est légitime, donc juste, lorsque le droit est bafoué. Est-il justifié, à la fois juridiquement mais aussi moralement, de s'opposer par la violence à un ordre jugé injuste ?
Quel est à présent le problème, le débat posé par cette question ? Nous savons que la justice se fonde sur une condamnation de la violence car elle est le passage du cycle de la vengeance à l'ordre des lois. Pourtant l'injustice suscite en nous la colère et le sentiment de révolte, peut être légitime, lorsqu'il s'agit d'opposer la force à un ordre injuste. Mais alors le recours à la violence peut-il être justifié lorsqu'il s'agit de rétablir le droit ? L'utilisation de la force et des armes, peut-elle être un mode de résistance légitime à l'oppression et à l'injustice ou ne fait-elle, au contraire, que reconduire et multiplier l'injustice et la violence ?