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La liberté
Au sens courant, la liberté c'est le pouvoir de faire ce que l'on veut en toute indépendance c'est-à-dire sans contrainte. Une contrainte c'est ce qui vient empêcher notre volonté de s'exercer et même ce qui peut venir appuyer, déterminer, peser, influencer notre volonté elle-même.
La contrainte peut être extérieure s'il s'agit, par exemple, d'une loi physique qui vient limiter nos possibilités mais c'est quand la contrainte vient d'autrui ou de la société qu'elle se fait véritablement oppression et servitude. Et quand cette contrainte a été intériorisée au point que l'individu s'y soumet inconsciemment, on parlera d'aliénation.
Bref, la liberté c'est le pouvoir de faire ce que l'on veut et cela s'oppose à la contrainte, à l'oppression, à l'asservissement, à la servitude et enfin à l'aliénation.
Un grand problème philosophique est de savoir si la liberté de l'homme est absolue ou bien alors seulement relative. Concevoir la liberté humaine comme absolue, c'est en faire l'essence même de l'homme. Il faut bien comprendre qu'une telle liberté absolue suppose que l'homme échappe aux lois générales de la nature donc échappe au déterminisme des lois naturelles. Il échappe aux relations nécessaires, aux enchaînements nécessaires de causes et d'effets qui déterminent toutes choses dans la nature. Bref, cette liberté absolue suppose que l'homme n'est déterminé par rien d'autre que part lui-même, qu'il est donc la cause de lui-même.
Cette liberté suppose donc, vous le voyez, un dualisme, une opposition, un dualisme de l'esprit et de la matière ou de l'âme et du corps.
Cette liberté absolue se nomme « le libre arbitre » dont la définition la plus claire est peut-être celle donnée par le philosophe français contemporain Marcel Conche qui nous dit que « le libre arbitre c'est le pouvoir de se déterminer soi-même sans être déterminé par rien ». Cette citation nous fait bien comprendre que le libre arbitre c'est finalement le pouvoir de se choisir soi-même donc de se créer soi-même.
Alors cette notion de « libre arbitre », qui est une notion métaphysique, pose évidemment de gros problèmes à la pensée philosophique. C'est une notion finalement paradoxale et incompréhensible, impensable, inexplicable par la raison. Alors, bien sûr, certains philosophes prétendent que cette liberté peut être expérimentée et qu'elle se connaît sans preuve, qu'elle fait l'objet d'une évidence. C'est ce que pense Descartes qui écrit « Il est si évident que nous avons une volonté libre qui peut donner son consentement ou ne pas le donner comme bon lui semble, que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions. »
Mais cette évidence de la liberté absolue nous garantit-elle vraiment contre toute illusion ? Autrement dit, le choix que je crois opérer librement ne peut-il pas être produit par une cause que j'ignore ? Et ce n'est pas parce que je sens que je choisis librement que c'est effectivement le cas. C'est pourquoi Spinoza dénonce l'illusion du libre arbitre, il écrit « Les hommes se croient libres pour cette seule cause qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés ».
De plus, comment l'homme pourrait-il échapper aux multiples influences qui proviennent du monde dans lequel il vit ? Comme le dit encore Spinoza « L'homme n'est pas dans la nature, donc dans l'univers, comme un empire ou comme un État dans un État ». Cela signifie que l'homme n'est pas imperméable aux causes extérieures. L'homme, au contraire, est conditionné, déterminé par de multiples déterminismes, de multiples causes naturelles dont il ne peut jamais s'extraire totalement.
Mais que devient alors la liberté ? Eh bien elle devient une libération, autrement dit, la liberté n'est pas alors une donnée originaire de l'existence mais une lente, difficile, périlleuse, incertaine conquête qui suppose la connaissance des déterminismes, des causalités et des influences qui pèsent sur nous. Comme le disait au siècle dernier le philosophe Léon Brunschvicg « Autant il est agréable aux hommes de s'entendre dire qu'ils sont libres, autant il leur est pénible d'avoir à se libérer effectivement ! ».
Abordons un autre problème, finalement, faut-il opposer la liberté et la loi ? De prime abord la liberté semble incompatible avec la contrainte, se soumettre à des règles, ou à des interdits collectifs sociaux c'est perdre un peu sa liberté, mais faut-il opposer la liberté et la loi ? La réponse est non et il est facile de comprendre que l'on est davantage libre dans une société organisée par des lois que dans un état d'anarchie où ne règne que la loi du plus fort et il est également facile de comprendre que la liberté politique dont nous parlons ici n'est possible, ou n'est garantie, qu'à la condition d'être également limitée. Bref, la liberté en société n'est garantie qu'en étant limitée par la loi juridique, c'est bien la loi qui permet aux libertés de cohabiter et non pas de se détruire mutuellement et cela sera d'autant plus vrai que la loi sera décidée démocratiquement dans un état de droit et c'est en ce sens que Rousseau écrit dans Le Contrat social que « l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. Obéir à la loi que l'on se prescrit soi-même c'est la définition très précise de l'autonomie, mot qui vient du grec, « nomos » signifiant « loi » et « auto », « soi-même ». L'autonomie c'est donc n'obéir qu'à la loi que l'on se donne soi-même et si vous comprenez cela, vous serez sans doute d'accord pour dire que la liberté ce n'est pas faire n'importe quoi et qu'agir avec détermination est une grande marque de liberté.
Pour finir, examinons brièvement un sujet de baccalauréat : « Peut-on prouver la liberté ? »
Alors d'abord bien comprendre la question en la reformulant puis ensuite trouver le débat. Alors d'abord comment comprendre le « peut-on » ? Eh bien on demande là si il y a une possibilité, si quelque chose est réalisable, le sens moral du « peut-on » ne sera peut être pas ici utile. Ensuite, qu'est-ce que « prouver » ? Eh bien prouver c'est montrer, exhiber une preuve. Qu'est-ce qu'une preuve ? Une preuve c'est ce qui enlève tout doute possible ; une preuve c'est donc ce qui donne une certitude. Mais il faut remarquer qu'il y a deux types de preuves, il y a une preuve immédiate, une preuve qui repose sur l'évidence, « tiens », « regarde », « sens », « vois ». Et puis il y a la preuve qui repose sur une démonstration, c'est-à-dire par un enchaînement logique, par un raisonnement. Alors si je reformule la question, cela signifie « est-il possible par une preuve d'enlever tout doute quant à l'existence de la liberté ? » Autrement dit, peut-on montrer la liberté, la faire voir, l'exhiber, la manifester, l'expérimenter et ou la démontrer, la déduire par un raisonnement à la manière d'une conclusion nécessaire ?
Alors quel est maintenant le débat ? Quel est maintenant le problème posé ? Eh bien c'est le suivant : prouver la liberté c'est établir son existence par un raisonnement nécessaire, donc une démonstration ou par une expérience directe, montrer, exhiber un acte libre. Mais comment rendre nécessaire ce qui, par définition, la liberté, échappe à toute nécessité et ne dépend que de soi-même ? Et comment exhiber, comment montrer ce qui relève de la volonté ou de l'esprit qui sont des réalités intérieures ? Sommes-nous alors condamnés à croire sans preuve en une liberté toujours douteuse ? On pourrait peut-être dépasser cette opposition en se demandant si plutôt que des preuves il n'y aurait pas des signes de la liberté.