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En apparence, le roman semble être un miroir du monde réel.
• Le roman se déroule souvent dans un cadre spatio-temporel bien réel. Par exemple, le cycle des Rougon-Macquart, de Zola, se déroule en grande partie à Paris, sous le second Empire. Ainsi, quand vous lisez un roman, vous pouvez avoir l'impression que l'histoire qui vous est racontée a vraiment eu lieu.
• De plus, la description et la multiplication des petits détails créent ce que l'on appelle un effet de réel : relisez la célèbre description de la pension Vauquer au début du Père Goriot de Balzac. Si elle peut vous paraître longue, voire ennuyeuse, vous noterez néanmoins qu'elle vous permet de bien visualiser la scène, presque de croire à la réalité d'un tel lieu.
• Enfin, les personnages eux-mêmes sont souvent des doubles de personnes réelles. La Princesse de Clèves, le personnage de Madame de Lafayette, ressemble certainement beaucoup aux femmes de la noblesse de l'époque. De la même manière, nous aurions pu connaître, dans la première moitié du XXe siècle, la même existence médiocre que Bardamu, le personnage du Voyage au Bout de la Nuit de Céline.
Pourtant, le roman ne représente pas le monde tel qu'il est.
• D'une part, vous pouvez facilement constater que le monde du roman est simplifié : même chez Balzac, les descriptions ne concernent que quelques lieux précis, et ne permettent pas de reconstituer toute une ville, encore moins tout un pays ou un continent. C'est la même chose pour le cadre temporel : Maupassant dit bien que le romancier ne peut pas raconter toute une existence. Il doit choisir, sélectionner les moments les plus significatifs. Dans son roman intitulé Une Vie, il raconte par exemple l'histoire de Jeanne en quelques centaines de pages. Ainsi, le cadre spatio-temporel d'un roman ne se confond jamais totalement avec l'espace ou le temps réels : il est simplifié, condensé, limité.
• D'autre part, il est aussi évident que les personnages de romans n'ont jamais la complexité des personnes réelles, même des personnes les plus simples en apparence. Ainsi, le personnage de roman se réduit souvent à un type : c'est un personnage qui incarne une idée, un caractère bien précis. Par exemple, Rastignac incarne le type de l'ambitieux dans La Comédie Humaine de Balzac ; quant aux géants Pantagruel et Gargantua, dans les romans de Rabelais, ils incarnent les valeurs et les idéaux du sage humaniste.
Ainsi, le roman représente en fait la vision du monde du romancier, le regard personnel et subjectif qu'il porte sur le monde réel.
• En effet, le romancier exprime dans son récit son propre rapport au monde : sans pour autant tomber dans le piège d'une lecture trop biographique, vous pouvez constater que Flaubert exprime, dans Madame Bovary comme dans L'Education sentimentale, son désenchantement, sa distance ironique avec le monde.
• De plus, certains auteurs expriment, à travers leur roman, leurs propres idées, leur propre philosophie. Par exemple, vous verrez en lisant L'Etranger de Camus que le personnage de Meursault illustre la philosophie de l'absurde de l'auteur. La vie du personnage semble n'avoir aucun sens, ne suivre aucune direction, parce que Camus lui-même considère l'existence humaine comme dénuée de toute signification.
• Enfin, vous pouvez encore pousser la réflexion : vous savez qu'il existe des romans à thèse, c'est-à-dire des romans à travers lesquels le romancier dénonce une injustice, critique un vice, défend une cause. C'est ainsi ce que fait Hugo, dénonçant la peine de mort dans Le Dernier Jour d'un condamné. Tout cela montre bien que, dans le roman, le romancier met en scène ses propres convictions, ses propres combats, bref l'idée qu'il se fait du monde.
Conclusion
On peut donc bien dire que le roman exprime une vision du monde, celle du romancier : à travers son œuvre, celui-ci représente la réalité non pas telle qu'elle est, mais telle qu'il la voit. De la même manière, les personnages ne sont pas exactement à l'image des personnes réelles : à travers eux, le romancier représente en fait sa propre vision de l'homme.