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o Pour mieux s'en convaincre, menons ensemble une étude des verbes dans le sonnet de Baudelaire intitulé L'Ennemi, extrait des Fleurs du Mal.
• Écoutez la lecture des deux premières strophes de ce sonnet.
" Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme tombeaux. "
Voilà deux quatrains qui ne laissent pas indifférents.
Observons les temps des verbes qui y sont employés :
- " Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage " : " fut " est au passé simple, temps qui marque une action totalement révolue ;
- " Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage ", " Voilà que j'ai touché l'automne des idées " : " ont fait " et " ai touché " sont au passé composé, temps qui exprime une action dont les effets se prolongent dans le présent.
- Ces deux verbes introduisent d'ailleurs chacun des verbes au présent : " reste ", " faut ", " creuse " ; ces présents ont une valeur de présents d'énonciation puisque les actions exprimées ont lieu au moment où le poète en parle.
o Enchaînons avec la troisième strophe, premier tercet du sonnet :
" Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? "
- " Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve… " : on retrouve le présent d'énonciation ;
- " Trouveront dans ce sol lavé comme une grève… " : le poète envisage l'avenir, c'est ce que montre le verbe au futur " trouveront " ;
- " Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? "
On relève ici le verbe au conditionnel présent, " ferait ", qui exprime une hypothèse.
o Écoutez enfin la lecture du second tercet :
" - Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie ! "
Les verbes de cette dernière strophe sont tous au présent : " mange ", " ronge ", " perdons ", " croît ", " se fortifie ". Mais ce présent a une valeur différente du présent employé dans les quatrains. Il s'agit ici d'un présent de vérité générale.
o Vous avez remarqué que tous les verbes conjugués de ce sonnet sont au mode indicatif : c'est le mode utilisé pour des actions considérées comme certaines.
Seul le conditionnel présent " ferait " exprime une prise de distance et introduit le doute :
" Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? "
La découverte de ce mystique aliment susceptible de régénérer le poète est frappée d'incertitude par l'emploi de la forme en -rait.
o Comment interpréter maintenant l'ensemble de ces observations sur les temps et les modes employés dans le sonnet de Baudelaire?
Les trois premières strophes suivent un fil chronologique ; on y relève un verbe au passé simple, puis deux verbes au passé composé, cinq verbes au présent, enfin un verbe au futur. Le poète passe en revue les différentes périodes de son existence et se demande s'il aura encore le temps d'écrire, si l'inspiration reviendra.
La dernière strophe, elle, énonce, au moyen du présent de vérité générale, une loi universelle : tous les hommes sont victimes du temps ; comme tous les hommes, le poète subit la dégradation opérée par le temps qui passe.
" - Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie ! "
o L'étude des temps des verbes de ce sonnet nous a permis d'en éclairer le sens et de mieux en comprendre le pouvoir évocateur.
Pour mieux l'apprécier encore, n'hésitez pas à l'apprendre par cœur en réécoutant ce podcast !