Comédie baroque, Le Menteur de Corneille fait de l’illusion le moteur de l’action dramatique et l’instrument d’une réflexion sur le théâtre comme art du trompe-l’œil.
IPremiers repères
1 L’auteur et le contexte
Né en 1606 à Rouen dans une famille bourgeoise, Corneille embrasse la carrière des lettres dans l’espoir d’être anobli. Il retire de sa formation auprès des Jésuites, un goût pour le théâtre et une morale de la volonté individuelle.
Dramaturge prolifique, il écrit plus de trente pièces et connaît, sous le règne de Louis XIII, une gloire qui s’éclipse à la cour du Roi Soleil. Corneille reçoit notamment la protection de Richelieu dans la querelle du Cid en 1637-1638.
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La querelle du Cid est une polémique littéraire autour des questions de vraisemblance et d’unité d’action, dont Corneille se serait affranchi dans sa pièce, selon ses détracteurs. En rendant un jugement modéré sur la tragi-comédie, l’Académie met fin aux désaccords.
Avec Le Menteur, créée en 1644, Corneille revient à la comédie, après une série de pièces tragiques, et célèbre la liberté de création avant que ne s’imposent les règles du classicisme. À cette date, Louis XIV n’a que cinq ans ; Anne d’Autriche et Mazarin assument la Régence face à la contestation du pouvoir par l’aristocratie frondeuse.
En écho à cette situation politique troublée, l’esthétique baroque véhicule alors dans les arts la vision d’un monde en mouvement perpétuel, où rien ne peut prétendre à une réalité fiable, à l’instar de Dorante, éternel menteur.
2 L’intrigue en résumé
Riche en péripéties, l’action du Menteur met en scène un jeune homme ambitieux, en quête d’une aventure galante, qui rencontre deux jeunes filles ; il en vient à les confondre et se trouve conduit, par une série de quiproquos et de mensonges, à épouser celle qu’il n’avait pas choisie initialement.
L’intrigue de la comédie repose sur un quiproquo initial : Dorante, se trompant de prénom, juge que Clarice (qu’il prend pour Lucrèce) est plus belle que Lucrèce (qu’il pense être Clarice) ; cette confusion donne lieu, en réaction, à un imbroglio.
IIDes clés pour l’analyse
1 Une comédie d’un genre nouveau
Le Menteur permet à Corneille de renouer avec « quelque chose de plus enjoué » (Épître). Il trouve l’inspiration de ce divertissement dans La Vérité suspecte (1625), pièce de l’Espagnol J. R. de Alarcón, dont il modifie notamment le dénouement.
Si l’espagnolade est alors en vogue, Corneille fuit toutefois le pittoresque pour ancrer la scène dans le Paris contemporain. Son souci de vraisemblance le pousse, au mépris de la bienséance, à traiter de sujets, jugés alors triviaux, tels la prostitution (i, 1), le rôle de l’argent (iv, 9), la réalité des sentiments…
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Une espagnolade désigne une œuvre littéraire ou artistique évoquant la culture hispanique sous ses aspects les plus pittoresques.
Versifiés, les dialogues relèvent plutôt d’une prose rimée. Les personnages principaux usent d’un langage précieux, conforme à l’esthétique galante de l’époque ; en contrepoint, les répliques des domestiques se signalent par la familiarité.
2 Une pièce baroque
Comédie d’intrigue, Le Menteur se nourrit de l’inconstance amoureuse des personnages et met au jour, au gré des actes, les désirs changeants et la métamorphose des sentiments. Si un mariage scelle le dénouement, La Suite du Menteur révèle la versatilité de Dorante, qui s’enfuit avec la dot.
La propension au mensonge de Dorante, son langage fait de séduction et d’inventions, où se combinent métaphores, traits d’esprit et mots à double entente, créent une sorte de vertige baroque.
Ressort de la dramaturgie, le mensonge se trouve, contre toute ambition moralisatrice du théâtre, assimilé moins à un vice qu’à une habitude sociale. Léger et divertissant, il se révèle finalement comme une voie d’accès à la vérité des êtres.