Pour que le jeune Rimbaud trouve sa propre voix, il lui faut identifier (nommer) ce à quoi il s’oppose et inventer son propre langage.
IExprimer sa révolte
1 Contre le monde de la bourgeoisie et ses valeurs
L’opposition de Rimbaud à sa famille et à l’école se manifeste par les fugues. Cinq poèmes en font l’éloge : « Première soirée », « Sensation », « Roman », « Ma Bohême » et « Rêvé pour l’hiver ». Ils chantent la liberté, la relation à la nature et à la poésie.
Pour aller + loin
Blaise Cendrars (1887-1961), un autre poète fugueur, raconte, dans Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France, le voyage qu’il fait en train à travers l’Europe à l’âge de seize ans.
La composition en diptyque de « À la musique » permet d’opposer six quatrains dressant les portraits de bourgeois « bouffis », à trois quatrains consacrés au poète, étudiant « débraillé » tout à la contemplation d’« alertes fillettes ».
Dans « Le Mal », sonnet violemment anticlérical, le poète se révolte contre le Dieu des chrétiens, indifférent « aux crachats rouges de la mitraille » et qui « rit » pendant que les hommes meurent.
2 Contre Napoléon III
En juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Dans « Morts de Quatre-vingt-douze… », Rimbaud refuse l’analogie entre les soldats morts en 1792 pour un idéal républicain et ceux qui combattent pour Napoléon III. Dans « Le Forgeron », il oppose les idéaux de la Révolution française et la petitesse des ambitions personnelles de Napoléon III.
Dans « L’Éclatante Victoire de Sarrebrück », Rimbaud montre tout le grotesque d’un combat sans importance, donné comme une victoire éclatante des Français.
Dans « Rages de Césars », le poète ironise sur l’Empereur, prisonnier de la Prusse après la défaite de Sedan, lui qui a perdu la guerre qui devait lui apporter la gloire.
IIInventer son propre langage
1 Réinterprétations, reprises et parodies
Rimbaud réinterprète la ballade de Villon en un spectacle burlesque où les squelettes s’entrechoquent grotesquement (« Bal des pendus »). Dans « Le Châtiment de Tartufe », il pousse à l’extrême le caractère débauché du personnage de Molière.
Rimbaud reprend également des poèmes contemporains. Il s’approprie le style de Hugo dans « Les Effarés » ou dans « Le Forgeron ». Dans le sonnet, « Le Buffet », on retrouve les synesthésies chères à Baudelaire.
Citation
Pour Rimbaud, Baudelaire est « le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu », mais son travail sur la langue poétique est insuffisant car « les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles » (Rimbaud, « Lettre à Demeny », 1871).
Le poète manie aussi avec habileté l’art de la caricature et de la parodie. Il détourne le mythe de la naissance de Vénus : « Venus Anadyomène » devient une vieille femme « belle hideusement » sortant de sa baignoire.
2 Vers une nouvelle langue poétique
Les scènes érotiques côtoient dans le même poème des descriptions réalistes de la vie paysanne (« Les Reparties de Nina »). De grands arbres indiscrets se font les voyeurs d’une scène de séduction (« Première soirée »). Rimbaud joue avec les codes de la poésie amoureuse et invente un nouveau lyrisme teinté d’autodérision et dénué de grandiloquence.
L’emploi d’un vocabulaire familier et le mélange des registres créent des images parfois surprenantes : « Comme des lyres, je tirais les élastiques/De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur ! » (« Ma Bohême »). De même, il crée la surprise en mettant à la rime des mots de sens opposés (« brutal »/« cristal »), ou susceptibles de choquer son lecteur : « Vénus »/« anus ».
Les nombreux jeux de rejets, contre-rejets et enjambements déconstruisent le rythme régulier de la poésie traditionnelle et imposent une nouvelle cadence. La construction de sonnets à la chute inattendue (« Le Dormeur du val ») est la marque d’une recherche d’un langage propre au poète.