Si les journaux influencent les avis de leurs lecteurs, ils doivent en retour s'adapter aux évolutions de la société. L'affaire Dreyfus en France illustre bien ce lien étroit et complexe.
I La rencontre de la presse et de l'opinion publique
1 Le rôle de l'opinion dans l'erreur judiciaire
mot clé
Mouvante et difficile à saisir, l'opinion publique correspond aux idées et valeurs partagées par une majorité d'individus au sein d'une société à une époque donnée.
L'opinion publique française connaît à la fin du xixe siècle une vague d'antisémitisme, véhiculant la haine des juifs dans une large part de la société. La défaite de 1870 contre l'Allemagne entretient par ailleurs un violent désir de revanche. Le nationalisme est exacerbé par les efforts du gouvernement pour garantir la meilleure défense militaire à la France.
Dans ce contexte, en 1894, Alfred Dreyfus, un officier juif de l'armée française, est reconnu coupable d'avoir transmis des documents secrets à l'ennemi allemand. Cette affaire d'espionnage est révélée par un journal antisémite d'extrême droite, La Libre Parole. Condamné à la déportation à vie au bagne, Dreyfus clame son innocence.
2 La presse transforme ce fait divers en « affaire »
Bientôt, il apparaît que le véritable coupable est Ferdinand Esterhazy, un commandant endetté. En janvier 1898, ce dernier est jugé à huis clos par un tribunal militaire, mais acquitté après un procès entaché de nombreuses irrégularités.
Cette injustice supplémentaire décide l'écrivain Émile Zola à dévoiler au grand public l'ensemble des faits. Sa célèbre lettre ouverte intitulée « J'accuse » fait la Une de l'édition du 13 janvier du journal L'Aurore, dirigé par Georges Clemenceau : y sont nommés les hauts responsables militaires concernés par le scandale. Alors que le journal ne tire habituellement qu'à 60 000 exemplaires, il s'en vend ce jour-là près de 300 000 : l'affaire est lancée.
INFO + Les dates clés de l'affaire Dreyfus
◗ 1894 : condamnation d'Alfred Dreyfus
◗ 1898 : « J'accuse » d'Émile Zola
◗ 1899 : second procès de Dreyfus, de nouveau condamné mais gracié par le président de la République
◗ 1906 : réhabilitation totale de Dreyfus
II Médias et opinion publique : qui façonne qui ?
1 Une presse qui s'adapte à ses lecteurs
Les médias reflètent alors les clivages de l'opinion. Ainsi les journaux antidreyfusards comme La Croix ou La Libre Parole s'adressent aux Français qui partagent, entre autres, une attitude critique vis-à-vis du régime républicain, un nationalisme virulent et un antisémitisme marqué.
Au contraire, la presse dreyfusarde comme La Petite République, dans laquelle écrit Jean Jaurès, a des lecteurs attachés à la République et aux droits de l'homme. À travers Dreyfus, ils défendent des idées universalistes, telle la justice.
2 Des médias dépendants de l'opinion ?
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La loi sur la liberté de la presse garantit un cadre légal aux publications, fixant leurs libertés et responsabilités. Elle a été adoptée en 1881 sous la IIIe République.
L'affaire Dreyfus a comme cadre la loi sur la liberté de la presse. Celle-ci permet aux journaux de s'exprimer de manière indépendante : les journalistes peuvent critiquer l'armée ou le gouvernement.
Pour un journal, prendre position vis-à-vis de l'opinion publique a également des enjeux financiers. Ainsi Le Petit Journal choisit de rejoindre le camp antidreyfusard… et perd alors la moitié de son lectorat.
Enfin, l'affaire Dreyfus acte l'émergence de la figure de l'intellectuel, tel Zola, relais d'opinion dont l'avis va guider les idées de ses concitoyens.