Publiés pour la première fois en 1688, Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle présentent une collection de réflexions, maximes et portraits, qui s'est enrichie au fil des éditions successives. Au dessein initial de peindre l'être humain s'est substituée progressivement une représentation de la comédie sociale.
IConnaître l'œuvre
1 L'auteur et le contexte
Issu de la bourgeoisie, Jean de La Bruyère (1645-1696) acquiert une charge de trésorier après des études de droit. En 1684, sa carrière connaît une ascension notable : il devient précepteur du duc Louis de Bourbon, petit-fils du Grand Condé.
La Bruyère entre à l'Académie française en 1693 et prend le parti des « Anciens », admirateurs et imitateurs de l'Antiquité, dans la « querelle » qui les oppose aux « Modernes », soucieux de renouveler les formes artistiques.
2 Structure de l'œuvre
Inspirée des Caractères du Grec Théophraste (372-287 av J.-C.), l'œuvre de La Bruyère se présente comme une traduction de l'auteur antique, sorte de caution morale et littéraire. Au fil des éditions (1688-1696), La Bruyère y ajoute un mélange original de descriptions, remarques et aphorismes dans le goût de l'époque classique, qui rejoint l'esthétique de la conversation mondaine.
Au-delà du désordre apparent de l'œuvre, de la fragmentation de ses énoncés, certains regroupements apparaissent : les livres I à IV dépeignent la psychologie de l'homme (son esprit, son mérite, son cœur) ; les livres V à X proposent une peinture de la société et du pouvoir ; les livres XI à XVI étudient l'homme dans une perspective morale et religieuse.
IIComprendre le parcours
1 Un miroir de la société : « Je rends au public ce qu'il m'a prêté »
La Bruyère fait autant œuvre d'historien, à la manière de Saint-Simon, que de moraliste à l'instar de La Rochefoucauld.
mot clé
Un moraliste observe et décrit le comportement de ses semblables. S'il cherche à instruire le lecteur, il ne se fait pas pour autant moralisateur.
La société dépeinte dans Les Caractères n'est plus régie par l'ordre ancien : les « Grands » n'ont plus que les « dehors » de l'aristocratie et la bourgeoisie se hisse au rang de cette dernière par l'argent et les intrigues.
Toutes les conditions – de l'artisan au souverain – et tous les profils psychologiques – de la coquette au distrait – sont décrits. Cet examen détaillé oppose ceux qui sont utiles au fonctionnement de la société à ceux dont le comportement n'est fondé que sur le paraître et l'artifice, et qui la dénaturent.
2 Divertir en corrigeant les mœurs
La Bruyère excelle dans l'art du portrait. Les caricatures qu'il dresse de ses contemporains visent à créer des « types » humains. La façon dont il met en scène les travers et les manies des hommes suscite le rire et fait écho, de manière efficace, au thème du theatrum mundi (théâtre du monde). Au-delà du traité rhétorique, l'œuvre s'apparente souvent à une comédie aux accents baroques.
mot clé
La notion de theatrum mundi est un héritage baroque. Au sein de la société, chacun joue un rôle, consciemment ou malgré lui, sur la grande scène du monde.
Le style de l'auteur s'attache à mettre au jour les défauts des êtres et les tares de la société : la précision des formules fouille les replis de l'âme humaine ; l'exagération et le goût de l'anecdote emportent le rire.
Le comique devient un instrument puissant au service de la critique des institutions et des préjugés dont se souviendront les philosophes des Lumières.