La séduction est souvent associée à la tromperie, et les beaux discours accusés d'être enjôleurs. Pourtant, les sophistes et orateurs grecs ont aussi vu dans la parole un puissant ressort de socialisation.
I La parole charmeuse
1 Les processus de séduction
Le mot « séduction » vient du verbe latin seducere qui signifie « corrompre », « détourner du droit chemin », attirer vers soi en suscitant le désir. La parole a sa part dans ce processus : comme on le dit souvent, le séducteur est un « beau parleur » dont « on boit les paroles ».
Au Ve siècle avant J.-C. en Grèce, les sophistes sont les premiers à réfléchir aux processus de séduction par le discours. Dans le contexte de la démocratie athénienne, ils analysent les moyens les plus efficaces de se faire aimer du peuple .
Mot clé
Tirant leur nom du mot grec sophia (sagesse), les sophistes constituaient une élite intellectuelle, experte dans l'art oratoire.
2 La puissance du discours selon Gorgias
Gorgias qualifie la rhétorique de « puissance de persuasion » et compare le discours à un « tyran ». Au moyen des mots, on peut « droguer l'âme » et « l'ensorceler » pour défendre n'importe quelle cause.
Ce brillant orateur le prouve dans son Éloge d'Hélène, un exercice de style où il offre à cette femme réputée infidèle la plaidoirie à laquelle elle n'a jamais eu droit. Est-ce le destin ou les dieux qui voulurent faire d'elle l'élément déclencheur de la guerre de Troie ? Ou bien fut-elle enlevée de force par Pâris ? Peut-être aussi fut-elle manipulée par cet habile séducteur… Mais dans tous les cas, ce n'est pas elle qu'il faudrait accuser !
Citation
« Le discours est un tyran très puissant ; (…) car la parole peut faire cesser la peur, dissiper le chagrin, exciter la joie, accroître la pitié » (Gorgias, Éloge d'Hélène).
Cet éloge est surtout celui du discours, dont la puissance de séduction est établie, une première fois, par le charme que Pâris exerça sur Hélène, puis une seconde fois par l'efficacité de la plaidoirie de Gorgias.
II La parole unificatrice
1 Le discours fort selon Protagoras
Protagoras dit que « l'homme est la mesure de toute chose » : chacun voit les choses selon son propre point de vue. Sur un même fait, on peut toujours construire au moins deux versions opposées, comme il le démontre dans ses Antilogies (du grec anti, « contre » et logos, « discours »).
Il prend l'exemple d'un accident survenu au concours de javelot : du point de vue du médecin, c'est le javelot qui a causé la mort de la victime. Selon le juge, il faut enquêter sur le lanceur. Et pour le responsable politique, ce sont les organisateurs des jeux qui sont responsables. Ces perspectives sont différentes mais également légitimes.
Ce n'est que grâce au langage qu'on peut s'accorder sur une vision commune et éviter la violence. C'est pourquoi l'art oratoire est profitable non seulement à qui le maîtrise et peut ainsi faire valoir son propre point de vue, mais aussi à toute la société.
Mot clé
Protagoras appelle « discours fort » celui par lequel on réussit à persuader les autres de partager notre propre point de vue.
2 L'éloge du logos chez Isocrate
Souvent critique à l'égard des sophistes, l'orateur Isocrate voit dans le discours davantage qu'un puissant moyen de séduction. Il insiste sur la valeur civilisatrice du logos (« raison », « discours »), dont il fait l'éloge.
« Presque tout ce que nous avons inventé, dit Isocrate, c'est le logos qui a permis de le réaliser » : c'est en effet par la parole que nous construisons des Cités, en discutant avec les autres et en délibérant avec nous-mêmes. La parole nous réunit « pour bâtir des villes, fixer des lois, découvrir des arts » (Sur l'échange).