« Le talent est un titre de responsabilité, » écrit le général de Gaulle à propos de son refus de gracier l'écrivain collaborationniste Robert Brasillach en 1945. La parole littéraire peut en effet, par l'autorité qu'elle porte, avoir un impact sur les consciences.
I L'écrivain, une conscience lucide
1 L'ambition de corriger les mœurs
De longue date, on prête à la littérature un rôle central dans la formation de la conscience collective. Dotée d'un certain prestige, la voix de l'écrivain porte : elle peut influer sur les mœurs, les actes, les pensées.
Au XVIIe siècle, les moralistes classiques observent et décrivent les mœurs ; leurs œuvres tendent aux lecteurs le miroir de leurs vices, pour mieux les combattre. C'est le cas des portraits caustiques de La Bruyère dans ses Caractères (1668) ou des grandes comédies de Molière.
La littérature édifiante vise à amender le lecteur : les sermons de Bossuet, prononcés en chaire, invitent les courtisans de Louis XIV à méditer sur la « grande affaire de l'éternité » et à appliquer concrètement les préceptes de la charité chrétienne.
2 Un souci de stimuler la réflexion
Dès ses origines antiques, la tragédie est liée aux affaires publiques. Les pièces reflètent les questionnements civiques liés à la naissance de la démocratie.
Chez Sophocle par exemple, Antigone transgresse les interdits pour donner une sépulture à son frère : l'œuvre interroge le devoir citoyen de résistance face à un pouvoir injuste.
Citation
« Le théâtre est un géant qui blesse à mort tout ce qu'il frappe », écrit Beaumarchais dans la préface du Mariage de Figaro (1784), conscient de l'influence de son art sur la société.
L'écrivain bouscule parfois les idées reçues et les institutions : La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire (éd. posthume, 1576), appelle les hommes à se défaire de la servilité imposée par les tyrans. Au XVIIIe siècle, Diderot dénonce les abus de l'absolutisme dans l'article « Autorité politique » de l'Encyclopédie (1751).
II Une parole engagée et légitime
1 La défense de causes diverses
Les périodes troublées favorisent les prises de position des écrivains. Pendant les conflits religieux qui déchirent le XVIe siècle, Ronsard prend parti pour les catholiques dans le Discours des misères de ce temps, tandis que d'Aubigné érige les protestants en martyrs dans Les Tragiques.
À la fin du XIXe siècle apparaît la figure de l'intellectuel engagé : dans « J'accuse », lettre ouverte au président de la République, Émile Zola prend publiquement le parti du militaire Alfred Dreyfus, accusé à tort d'espionnage et victime de l'antisémitisme.
Mot clé
L'écrivain engagé prend une position idéologique ou morale dans son œuvre, ce qui le mène parfois à l'exercice de fonctions politiques ou à des actions sur le terrain.
L'écrivain peut célébrer des valeurs communes, devenant porte-parole de la nation. André Malraux, écrivain devenu ministre de la Culture, rend ainsi un vibrant hommage à l'héroïsme de Jean Moulin, « le visage de la France », lors du transfert de ses cendres au Panthéon en 1964.
2 L'engagement comme devoir
Au XIXe siècle, Hugo est convaincu de l'utilité sociale de l'artiste qui montre la voie pour améliorer la société. Ses convictions, portées par une verve éblouissante, percent dans nombre de ses œuvres. Il accuse le gouvernement d'inaction contre les injustices sociales dans son Discours sur la misère (1849), thème au centre des Misérables (1862).
Après la Seconde Guerre mondiale, Sartre souligne la responsabilité inaliénable de l'écrivain, qui doit s'ériger au besoin en force de contestation et de mobilisation pour défendre des valeurs universelles et intemporelles, comme la justice ou la liberté.