Dans Mes forêts, la poésie porte la voix de la nature qui questionne l’homme sur son histoire et sur celle du monde. Hélène Dorion joue de toutes les ressources de la poésie pour tenter d’approcher du monde complexe de la nature.
ILa nature, une poétique
1 Un inventaire poétique
La forêt, élément de la nature, est elle-même composée d’éléments qui sont énumérés dans la première section du recueil. La suite des titres se lit comme un long poème traversant et structurant le recueil.
Pour aller + loin
Dans Le Parti pris des choses (1942), Francis Ponge (1899-1988) répertorie le monde des choses (pain, cageot, huître…) et choisit le poème en prose pour être au plus près de l’objet décrit.
Pour décrire ces éléments, Hélène Dorion choisit le vers libre dans une forme proche du haïku : c’est par exemple le cas de la deuxième strophe du poème « Le tronc ».
2 Une approche métaphorique
Le pluriel du titre l’annonce, la forêt de l’auteure est plurielle, changeante. Elle est difficile à cerner et ne peut se réduire à une seule approche.
C’est pourquoi les cinq poèmes « Mes forêts » commencent par l’anaphore « mes forêts sont… » suivie de définitions métaphoriques : «… de longues traînées de temps », «… un champ silencieux », «… des bêtes qui attendent la nuit », «… le bois usé d’une histoire », «… de longues tiges d’histoire ».
3 Des réseaux synesthésiques
De vastes réseaux synesthésiques parcourent le recueil, c’est le cas par exemple dans « Le houppier » :
matière + couleur + son (« les nuages chuchotent ») ;
couleur + toucher (« la lumière éblouit la montagne/dessine des espoirs/dans la neige ») ;
son + toucher (« à l’oreille des pierres »).
L’évocation des « mâts », du « champ de colonnes », d’« une vaste cité de bois », dont la poétesse « déchiffre » les signes, fait écho au sonnet « Correspondances » de Baudelaire : « La nature est un temple où de vivants piliers/Laissent parfois sortir de confuses paroles ;/L’homme y passe à travers des forêts de symboles/Qui l’observent avec des regards familiers. »
IILa nature, miroir de nos vies
1 Du poème épique à la forme fragmentée
La nature, vivante, est tributaire du temps. Hélène Dorion emprunte la forme épique, pour raconter la création du monde (« Avant l’aube »), l’histoire des hommes (« Avant l’horizon ») et une histoire plus personnelle (« Avant la nuit ») qui s’insère dans « la longue marche du savoir », de l’âge d’or à l’ère numérique.
Définition
Les récits de la création du monde sont des cosmogonies. Le poète grec Hésiode (viiie siècle av. J.-C.) expose la généalogie des dieux (théogonie) et leur rôle dans la naissance du monde.
À l’inverse, dans « Une chute de galets », la poétesse choisit une forme fragmentée pour faire entendre l’écoulement du temps : répétition d’un distique (« c’est le bruit du monde/l’écoulement du temps ») et jeu mimétique.
2 Un lyrisme retenu, à la recherche du sens
Le « je » de la poétesse écoute, déchiffre, s’interroge, sans jamais tomber dans le lyrisme romantique d’un poète comme Lamartine (1790-1869) qui demande à la nature de conserver le souvenir de son amour perdu.
Le recueil se clôt en évoquant le pouvoir de la poésie qui devient la voix de la nature à la recherche du sens : « un poème murmure/un chemin vaste et lumineux/qui donne sens/à ce qu’on appelle humanité ».
3 « Prendre le large vers moi-même »
La relation avec la nature est fusionnelle. Les forêts « entendent nos rêves/et nos désenchantements » et deviennent le double de la poétesse.
L’immersion dans la nature permet un retour sur soi (« les forêts creusent/parfois une clairière/au-dedans de soi »). Ce rapport à la connaissance de soi s’exprime dans un beau paradoxe : « prendre le large/vers moi-même », un nouveau « Connais-toi toi-même » que l’on pourrait inscrire au fronton des forêts.