Comment la multiplicité des mémoires de la guerre d’Algérie complique-t-elle le travail des historiens ?
1 Des groupes mémoriels qui s’opposent
A Les combattants de la guerre d’Algérie
Les combattants véhiculent des mémoires différentes :
– les 1,7 million de soldats français du contingent ;
– les harkis, musulmans ayant servi aux côtés des Français (abandonnés par la France et considérés comme des traîtres en Algérie) ;
– les « ultras » de l’Algérie française, anciens membres de l’oas, hostiles aux accords d’Évian et nostalgiques de l’empire colonial français.
– les membres du fln qui défendent la mémoire d’une guerre d’indépendance contre l’oppression coloniale.
B Les civils
Les pieds-noirs, rapatriés d’Algérie en 1962, entretiennent la nostalgie de la terre perdue (nostalgérie) ; les immigrés algériens sont eux tiraillés entre la mémoire de la colonisation et celle du nationalisme algérien.
2 Des mémoires qui sont le fruit d’une évolution historique
A De l’oubli au réveil des mémoires
▸ De chaque côté de la Méditerranée, les mémoires sont inversées : en France, juste après le conflit, personne ne veut se pencher sur ce passé immédiat. Une série de lois d’amnistie, dès 1964, organise cet oubli officiel. En Algérie au contraire, la guerre est considérée comme un conflit de libération nationale et le fln écrit l’histoire officielle, celle du mythe de « un million et demi de martyrs ».
▸ À la fin des années 1960, on assiste à un réveil des mémoires : en France, des films anticolonialistes, comme Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier (1972), séduisent une jeunesse engagée à gauche. La décennie suivante, les harkis réclament la reconnaissance de leurs souffrances tandis que les enfants d’immigrés manifestent contre le racisme.
B Vers la reconnaissance officielle
▸ Dans les années 1990, la guerre civile en Algérie ravive le discours français favorable à la colonisation. Pour y mettre fin, l’Assemblée nationale reconnaît officiellement « la guerre » le 10 juin 1999.

citation « Sur cette guerre qui longtemps n’a pas dit son nom en France, […] nous avons ce devoir de vérité sur la violence, l’injustice, les massacres, la torture. » F. Hollande, 2012
▸ Le 23 février 2005, est votée une loi qui reconnaît les souffrances des rapatriés. Les programmes scolaires doivent intégrer les « aspects positifs » de la colonisation, ravivant, malgré son abrogation, une guerre des mémoires.
▸ En septembre 2016, le président F. Hollande reconnaît la responsabilité de la France dans l’abandon des harkis.
3 Des mémoires parallèles qui rendent difficile le travail de l’historien
A En France
▸ Dès la fin du conflit, des historiens cherchent à établir les faits pour valider les récits recueillis lors de la guerre. Depuis les années 1990, ils tentent de rapprocher les groupes mémoriels, aidés, en 1992, par l’ouverture de la majorité des archives.
▸ La Guerre d’Algérie : 1954-2004, la fin de l’amnésie est un ouvrage de référence auquel collaborent vingt-six historiens français et algériens, publié sous la direction de Mohammed Harbi et Benjamin Stora.
B En Algérie
▸ L’hypercommémoration des années 1960 est peu favorable à un travail historique, d’autant que les archives sont conservées en France.
▸ En 2007, l’ina et la télévision publique algérienne signent un accord de libre accès aux documents audiovisuels datant de 1940 à 1962. La coopération permettra à la recherche d’avancer en Algérie.
Conclure
Les mémoires de la guerre d’Algérie, qui a pris fin il y a un demi-siècle, restent vives et souvent opposées. Les nouvelles générations aspirent à une histoire partagée, et la recherche historique peine encore à y parvenir.