Durant la seconde moitié du xxe siècle, Sarraute remet l’intime au centre de la représentation théâtrale : sa pièce Pour un oui ou pour un non est centrée sur un malentendu infime aux conséquences majeures.
IPremiers repères
1 L’autrice et le contexte
Nathalie Sarraute (1900-1999) est une femme de lettres française d’origine russe. Elle publie en 1939 son premier recueil de textes brefs, Tropismes.
mot clé
La querelle de Pour un oui ou pour un non se fonde sur ces « tropismes », définis par Sarraute comme des mouvements fugaces souvent instinctifs et indéfinissables dont l’intention peut être déchiffrée maladroitement par autrui.
Dans L’Ère du soupçon (1956), Sarraute explore la crise que traverse le roman traditionnel ; elle se rapproche des théoriciens et écrivains du « Nouveau Roman ». Pour l’autrice, la psychologie des personnages doit aller au-delà des archétypes pour permettre de révéler les « états inexplorés » de leur conscience.
À partir de 1964, elle écrit des pièces de théâtre comme Le Silence ou encore Le Mensonge, dont l’enjeu central devient progressivement la question du langage. C’est également le cas en 1982 avec Pour un oui ou pour un non.
2 L’intrigue en résumé
Deux amis, h. 1 et h. 2, perdus de vue, se retrouvent. h. 2 (« qui rompt pour un oui ou pour un non ») avoue à h. 1 s’être éloigné de lui en raison de l’intonation méprisante perçue dans l’une de ses réactions passées (« C’est bien… ça… ») portant sur un de ses succès.
Reprochant à h. 1 de l’avoir piégé par sa « condescendance », h. 2 demande à un couple de voisins (h. 3 et f.) de se faire les juges de la querelle. Ceux-ci, confus par les fondements subjectifs de la dispute, se retirent.
L’échange tourne alors au conflit : h. 1 accuse à son tour h. 2 d’être « jaloux » de son bonheur et d’avoir tenté de le « piéger » en se tenant sciemment à l’écart du monde, par son attitude « poétique ».
La pièce se termine sur une impasse entre « deux camps adverses » irréconciliables, symbolisée par les dernières répliques : « h. 1 : Oui./h. 2 : Non ! ».
IIDes clés pour l’analyse
1 Un drame du langage
Dans la pièce, le langage constitue un mode de communication miné, marqué par l’incompréhension réciproque. Le « rôle principal » est dévolu à une poignée de mots et à la manière de les prononcer.
Les personnages se méfient d’une parole pleine de chausse-trapes, où chaque formule constitue potentiellement le support d’une accusation : ainsi de « C’est bien… ça… », mais aussi de « La vie est là… » ou du souvenir des « cartes postales » qui auraient pu remplacer la contemplation du paysage selon h. 1.
Les locuteurs se débattent en permanence avec le langage. La parole est porteuse du drame qui se joue sur scène, déployant son caractère menaçant et laissant voir ses failles : des intonations mal comprises, des choses incorrectement nommées, des formules toutes faites, des « guillemets » ironiques.
À NOTER
Le terme « logodrame » (littéralement « drame du langage ») désigne les pièces postmodernes, comme ici celle de Sarraute, où l’intrigue réside dans le fait même de parler ou de se taire.
2 Une opposition radicale entre deux visions du monde
La pièce est construite comme un duel fait d’attaques, d’esquives et de contre-attaques où chacun défend de plus en plus agressivement sa propre compréhension des paroles prononcées.
Les deux amis se déchirent en apparence sur des broutilles ; au départ, h. 1 est convaincu de pouvoir comprendre et guérir h. 2 par le langage. Mais progressivement apparaît au grand jour une opposition radicale, une « lutte à mort » entre deux stéréotypes.