L'Ingénu paraît en 1767 sous un faux nom d'auteur qui ne trompe personne : qui d'autre que Voltaire pouvait faire une satire si enlevée de la société française et donner une telle leçon de tolérance ?
I Une œuvre engagée
1 Un succès de librairie
L'Ingénu entre dans le genre du conte philosophique qui a déjà assuré de grands succès à Voltaire (notamment Candide). Il séduit aussi grâce à un thème à la mode (le sauvage) et à des accents sentimentaux (l'histoire d'amour avec Mlle de Saint-Yves).
Mot clé
Un conte philosophique use des ressorts de la littérature et du merveilleux pour conduire le lecteur à réfléchir.
Interdit de publication, l'ouvrage dénonce la brutalité des puissants (M. de Louvois, M. de Saint-Pouange) et l'hypocrisie de l'Église (le père Tout-à-tous, le père de la Chaise).
2 Une leçon de tolérance et de justice
Le récit est situé dans les années suivant la révocation de l'Édit de Nantes (1685) qui accordait la liberté religieuse aux protestants. C'est une manière de pointer une actualité plus récente : les condamnations injustes des protestants Calas (1761) et Sirven (1762), pour lesquels Voltaire prit parti, ou l'exécution du chevalier de la Barre pour blasphème (1766).
De même, l'Ingénu est mis en prison car sa franchise lui fait tenir des propos jugés hostiles à la religion. Voltaire dénonce l'intolérance religieuse et les arrestations arbitraires ordonnées par des « lettres de cachet ».
Citation
« Il n'y a donc point de lois dans ce pays ! On condamne les hommes sans les entendre ! », déplore l'Ingénu.
II Un parcours révélateur et initiatique
1 Le choc des cultures
Débarqué en Bretagne, l'Ingénu est un Huron curieux de découvrir le monde. Mais ses interlocuteurs sont, sinon malveillants comme le Bailli, au moins un peu bornés à l'image du Prieur et de Mlle de Kerkabon, qui s'offrent pourtant pour être ses nouveaux parents.
Cette nouvelle famille trahit vite ses préjugés lors d'une discussion sur la diversité des langues où le français est tenu pour la langue originelle (à moins que ce ne soit le bas-breton !). Évidemment, on décide de baptiser le Huron sans lui demander son avis.
L'Ingénu se montre ouvert aux mœurs européennes malgré ses motifs de perplexité : pourquoi, par exemple, n'a-t-il pas le droit d'épouser celle qu'il aime ? Ses aventures servent de prétexte pour critiquer les tares de la société de l'époque.
À noter
Par définition étranger à la civilisation, le « sauvage » est un personnage type dont le regard neuf et distancié contient un fort potentiel critique et comique.
2 Une éducation réciproque
Les manières du Huron sont au départ un peu brutales, comme en témoignent sa valeur au combat et ses assauts auprès de sa bien-aimée. Mais il rend les personnes qu'il côtoie plus lucides.
Citation
« N'ayant rien appris dans son enfance, il n'avait point appris de préjugés ».
Ainsi, Mlle de Saint-Yves n'est plus à la fin du conte « cette fille simple dont une éducation provinciale avait rétréci les idées ». Gordon, compagnon de cellule et prêtre janséniste, ouvre les yeux aux côtés de l'Ingénu : « je tremble d'avoir laborieusement fortifié des préjugés ; il n'écoute que la simple nature ».
Armé de cette raison naturelle, le Huron devient plus raffiné et plus instruit au contact de la culture européenne. « J'ai été changé de brute en homme », s'avoue-t-il. Esprit vif et ouvert, désireux d'apprendre, rationnel sans être pédant, il n'est pas seulement un porte-parole pour Voltaire mais aussi une illustration de ce que doit être l'homme des Lumières.