Le roman met en scène des personnages marginaux mais attachants et questionne les normes sociales et morales de l’époque.
IManon et Des Grieux : des héros en marge
1 La rupture avec une vie « rangée »
Manon, « fille de rien » envoyée au couvent pour juguler un penchant précoce pour le plaisir, séduit d’emblée Des Grieux. Incapable de lui résister, ce fils issu d’une famille aristocratique abandonne sur-le-champ sa bonne éducation et son projet d’entrer dans l’ordre des chevaliers de Malte.
Des Grieux refuse de mener l’existence vertueuse vantée par son ami Tiberge. Il fait le choix d’« une vie obscure et vagabonde » et sacrifie sa conscience, sa fortune et son honneur.
2 Des transgressions successives
Malgré de brefs sursauts de lucidité, Des Grieux préfère le vice au risque de perdre Manon. Initié par un malfrat, Lescaut, le frère de Manon, il fréquente les milieux peu recommandables du jeu, enchaîne les vols et les tricheries, puis en vient à commettre un meurtre lors de son évasion.
Manon et Des Grieux transgressent les codes sociaux et moraux de leur époque. Des Grieux renie ses valeurs religieuses, fait une mésalliance et rompt avec son père.
Pour aller + loin
Les Liaisons dangereuses (Choderlos de Laclos, 1782) proposent les échanges épistolaires de deux libertins immoraux qui mènent une vie de plaisir en manipulant leur entourage.
IILes sources du plaisir romanesque
1 Des protagonistes attachants
Le couple conserve néanmoins une pureté touchante. Manon émeut le lecteur par son insouciance et sa jeunesse. Des Grieux, âme délicate, ne s’arrache pas sans douleur à son sens de l’honneur et aux exigences de son milieu. Tels Tristan et Iseult, amants mythiques du Moyen Âge, ils vivent leur passion clandestinement.
2 Des péripéties multiples
La narration tient en haleine le lecteur : les péripéties s’enchaînent à un rythme soutenu et empruntent au répertoire romanesque traditionnel (fuites, duels…).
Le plaisir du récit l’emporte sur le souci de la vraisemblance, dans la veine du roman d’aventures et de la comédie d’intrigues. Prévost cherche bien, comme annoncé dans l’« Avis de l’auteur », à divertir son lecteur.
IIIDes héros porteurs d’une vision transgressive du monde ?
1 Une réflexion sur les valeurs
L’auteur souhaite peindre un « exemple terrible de la force des passions » afin d’instruire le lecteur. Des Grieux donne libre cours à sa passion qui l’emporte sur la raison : « Après tout, l’amour est un bon maître ».
Des débats philosophiques ou éthiques sur la nature de l’existence jalonnent le récit (échanges entre Des Grieux et son père, ou avec Tiberge). Entre passion et vertu, quel choix l’individu doit-il faire ? Suivre ce que lui dicte l’ordre social ou ses propres sens ? Le roman pose la question du droit au bonheur individuel.
Par la fin tragique du roman, Prévost semble vouloir avertir le lecteur de la fatalité de la passion. Mais il plaide aussi pour disculper ses héros : la société, rigide, rend l’amour sincère impossible.
2 Une société sclérosée
L’argent est un motif central du roman : il fait le bonheur ou le malheur du couple. Le lecteur est ainsi amené à s’interroger sur cette société corrompue qui érige l’argent en valeur suprême.
La société de l’Ancien Régime sanctionne sévèrement ceux qui dérogent à ses codes – en particulier Manon, dénuée de tout appui social et condamnée d’autant plus durement. Sa mort paraît incarner son impossibilité à vivre dans une société fermée qui n’a accordé aucune légitimité à ses désirs.
Pour aller + loin
Les Misérables de Victor Hugo (1862), retracent les péripéties de Jean Valjean pour échapper à son passé de bagnard : sa rédemption morale est empêchée par une société injuste et brutale.