Les créatures monstrueuses traversent l'imaginaire humain depuis de nombreux siècles, interrogeant constamment notre regard sur ce qui nous paraît étranger, ainsi que notre propre humanité.
I Une source de fascination
La mythologie gréco-romaine abonde en monstres de toutes sortes : ils permettent de mettre en valeur les héros épiques qui les affrontent, comme le Sphinx, vaincu par la sagacité d'Œdipe, ou bien la Gorgone Méduse, terrassée par Persée.
À noter
Le mot « monstre » vient du latin monstrum, terme du vocabulaire religieux qui désignait un phénomène extraordinaire censé avertir les hommes de la volonté des dieux.
L'ère médiévale est également riche en bestiaires de toutes sortes. Les monstres témoignent de la présence du Mal dans un monde très chrétien. Le « monstrueux Physetere » tué par Pantagruel dans le Quart Livre de Rabelais (1552) symbolise la victoire de l'homme sur ces forces obscures.
À la Renaissance, on désire montrer au plus grand nombre des créatures qui paraissent extraordinaires, mais qui existent réellement : la gravure d'un rhinocéros indien par Albrecht Dürer (1515) est par exemple admirée dans toute l'Europe.
II Un moyen de mieux comprendre la nature
1 Un désir de connaissance
Dès la Renaissance, les monstres font l'objet de premières approches scientifiques. Malgré la crédulité dont il fait preuve dans Des monstres et prodiges (1573), le chirurgien Ambroise Paré entreprend de classer ces êtres qui apparaissent « outre le cours de Nature » afin de mieux les comprendre.
La volonté d'analyser rationnellement ces phénomènes perçus comme inexplicables s'accentue avec les Lumières. Le développement des études anatomiques permet de démystifier progressivement les faux prodiges, comme l'entreprend Buffon dans son Histoire naturelle au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
2 Une réflexion sur la nature humaine
Chez Rabelais, les monstres prennent une dimension allégorique, qui sert à mieux comprendre l'homme. Dans le Quart Livre, la longue liste baroque des organes internes et externes de Quaresmeprenant permet d'opérer une véritable dissection du corps humain.
La monstruosité permet de réfléchir sur les frontières de l'humanité. Dans ses Essais (1595), Montaigne prend l'exemple d'un enfant considéré comme « monstrueux » afin de prouver que, malgré sa difformité physique, il n'en demeure pas moins un être humain : « il n'y a rien, quoi que ce puisse être, qui ne soit pas selon la nature ».
III Le monstre, un miroir critique de l'homme
Dès l'âge classique, certains personnages du théâtre tragique racinien laissent libre cours à leur monstruosité morale. Dans Britannicus, l'Empereur Néron est un « monstre naissant » de plus en plus terrible ; dans Phèdre, la protagoniste, ravagée par sa passion incestueuse, engendre la mort de son beau-fils par ses calomnies.
Dans le conte La Belle et la Bête (1757) de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, la Bête a effectivement une apparence terrifiante, mais son cœur est pur. « Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous », lui confie la Belle. La figure traditionnelle du monstre se renverse : la véritable monstruosité n'est plus physique, mais morale.
L'on retrouve ce trouble entre l'homme et le monstre tout au long du siècle romantique : la créature de Frankenstein (Mary Shelley, 1818) ou le vampire Dracula (Bram Stoker, 1897) sont autant de figures qui nous interrogent sur notre propre rapport à autrui et au monde.