L’opposition entre raison et sentiments traverse la littérature, tout particulièrement lorsqu’est abordé le thème de la passion amoureuse. Cette dualité est centrale dans Mémoires de deux jeunes mariées, où Renée incarne la raison, et Louise, l’amour-passion.
IDeux héroïnes qui s’opposent
1 Renée : le choix de la raison
Mariée d’office à la sortie du couvent, Renée ne connaît pas la passion amoureuse. « Tu seras la partie romanesque de mon existence », déclare-t-elle à Louise. Elle affirme « [savoir] déjà par avance l’histoire de [s]a vie ».
Pour aller + loin
Dans La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette (1678), l’héroïne, mariée à un homme qu’elle estime, doit étouffer la passion qu’elle éprouve pour le duc de Nemours.
« Docteur en corset », elle philosophe sur sa condition. Elle pointe le fossé existant entre la Société et la Nature, et comprend que la société, en instituant le mariage, vise l’équilibre familial et social, au détriment des élans du cœur.
2 Louise : le choix de la passion amoureuse
Louise ne peut concevoir l’existence sans l’absolu des passions : « J’aime mieux périr dans la violence des tourbillons de mon cœur, que de vivre dans la sécheresse de ta sage arithmétique. » Exaltée, nourrie de lectures promptes à enflammer son imagination, elle s’abandonne à l’amour et fait de sa vie un « poème » dédié à l’être aimé.
Pour aller + loin
L’idéalisme romanesque de Louise rappelle la quête des Précieuses au xviie siècle. Se méfiant du mariage, elles cherchent dans l’amour les plus grands raffinements.
Elle s’enorgueillit de cet amour qui donne à sa vie son prix : « tu restes sur la terre, je suis dans le ciel ». Oscillant entre empathie et condescendance, elle plaint son amie, « pauvre chérie engloutie » dans un mariage raisonnable.
IIUne opposition à nuancer
1 Des héroïnes complexes
Pour autant, Renée, à défaut de connaître les exaltations d’une passion, trouve des « joies illimitées » dans la maternité : « Fiat lux ! J’ai soudain été mère. »
Louise, elle, est capable de froids calculs – elle met ainsi à l’épreuve ses prétendants, en s’assurant notamment de l’absolue soumission de Macumer – et d’une véritable intelligence politique.
2 Une même soif de bonheur
Énergiques et déterminées, Louise et Renée se rejoignent dans leur quête de bonheur et d’indépendance. Leur correspondance débat des voies possibles pour parvenir à s’épanouir individuellement, malgré le poids des conventions sociales. Chacune, à sa manière, prend sa vie en main et cherche à conserver sa liberté : Renée exige de son mari une certaine indépendance, quand Louise revendique l’empire qu’elle exerce sur un Macumer très épris.
IIILa raison contre le sentiment ?
1 Respecter ou faire fi des conventions sociales ?
Se pliant à certaines normes sociales, Renée, « si raisonnable et si raisonneuse », prend le parti d’une vie mesurée, privilégiant « la Famille sainte et forte ». Elle souhaite des enfants riches, « bien placés dans l’État », et travaille à obtenir des charges pour son mari qui sera pair de France, aux ordres de Louis-Philippe. La réussite sociale de son mari et de sa famille contribue au bonheur de Renée qui, sévère, condamne Louise : « Tu dépraves l’Institution du mariage ».
À l’opposé, refusant toute concession à la société, Louise cherche dans le mariage l’amour et le plaisir ; mais la tyrannie du désir la consume.
2 Quelle conclusion ?
Les morts de Felipe et de Louise semblent sanctionner les unions fondées sur la passion. Pourtant, dans sa correspondance, Balzac concède à George Sand : « J’aimerais mieux être tué par Louise que de vivre longtemps avec Renée. »
Il dresse un constat sans illusions et cherche pour la femme une voie qui ne la sacrifie pas aux exigences de la société. « Entre nous deux, qui a tort, qui a raison ? Peut-être avons-nous également tort et raison toutes deux » finit par observer Renée (lettre XVIII). L’auteur se garde de prendre parti.