Dans la pièce de Sarraute, le conflit est au cœur de l’intrigue ; il prend la forme familière, mais aussi très cruelle, d’une dispute entre deux amis.
ILa dispute, au cœur de l’intrigue théâtrale
1 Un moteur dramaturgique efficace
La dispute constitue un élément dramaturgique particulièrement efficace en montrant l’opposition entre deux personnages sur une thématique ; celle-ci devient alors l’enjeu majeur de la pièce.
À NOTER
Étymologiquement, la « dispute » (du verbe latin disputare) signifie : « mettre au net, estimer après un examen approfondi ». Le débat animé doit parvenir à une vérité.
Chez Sarraute, c’est le langage et l’utilisation qui en est faite, qui deviennent l’objet de la querelle entre les deux protagonistes. Contrairement à ce qu’affirme h. 2, ce ne sont pas « juste des mots ».
Les aveux de l’un se heurtent à l’incompréhension de l’autre. Le dialogue alterne entre des moments plus calmes et des pointes acérées (la prise à témoin des voisins, la citation de Verlaine mal à propos, la violence exacerbée du souvenir des Écrins).
On retrouve ce type d’altercation dans Le Misanthrope (1666) de Molière lorsqu’Alceste reproche à Philinte son hypocrisie sociale : « Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur,/On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur. » (acte i, scène 1)
2 Un moyen de révéler des vérités au grand jour
La dispute au théâtre peut avoir un rôle révélateur : les personnages disent tout ce qu’ils ont sur le cœur, dévoilant leur vrai visage derrière le masque social.
Dans la pièce Le Prénom (2010) de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, un dîner familial tourne mal à la suite de l’annonce du choix d’un prénom discutable pour l’enfant à naître. La parole se délie alors, laissant libre cours à toutes les rancœurs et rivalités familiales.
La pièce de Sarraute est également le cadre d’un véritable règlement de compte. Les accrocs du langage exacerbent la violence des répliques et la méfiance réciproque des deux amis.
IILes différents registres de la dispute
1 La dispute, procédé comique par excellence
La dispute au théâtre peut donner lieu à des confrontations comiques ou burlesques qui entraînent immédiatement l’adhésion du spectateur. C’est le cas dans cette pièce de Sarraute où perce « en sourdine » une tonalité comique, notamment dans les exagérations plaisantes de h. 2, ou dans la perplexité des voisins appelés pour régler le différend entre les deux hommes.
Dès le xviie siècle, Molière mettait déjà le procédé en œuvre dans Les Femmes savantes lorsque les deux pédants, Trissotin et Vadius, commencent par échanger des propos élogieux, mais finissent par s’insulter copieusement, Vadius avouant qu’il déteste un sonnet de Trissotin.
À NOTER
Le motif de la dispute au théâtre prend ici une valeur satirique : à travers les personnages, c’est le type moral du pédant vaniteux et ridicule qui est dépeint par le dramaturge.
2 Des disputes qui virent au tragique
La pièce de Sarraute se teinte de tragique lorsque la rupture semble inéluctable entre les deux amis. Leur opposition se transforme en « lutte à mort » entre deux « camps ennemis » : aucune conciliation n’est plus possible à la fin de l’œuvre – même si, paradoxalement, l’accord se fait enfin sur cette rupture définitive. Les dernières répliques de la pièce incarnent cette impasse : « Oui./Non ! ».
Chez Bernard-Marie Koltès, les retrouvailles familiales peuvent également tourner au tragique sous la forme d’une dispute entre le frère et la sœur : dans Le Retour au désert (1988), Adrien et Mathilde semblent voués à rejouer un affrontement quasi-mythologique qui n’aura jamais de fin.